Bloquer les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE ?

Suite à la réaction d'Erdoğan à la tentative de putsch, le chancelier autrichien Christian Kern a demandé le gel de la procédure d'adhésion de la Turquie à l'UE. Ceci aurait l'effet inverse à l'effet recherché, mettent en garde certains commentateurs. D'autres regrettent que l'UE n'envisage pas de prendre des sanctions conséquentes contre Ankara.

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tagesschau.de (DE) /

Contrebalancer le pouvoir d'Erdoğan

Il faut intensifier et non interrompre les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, fait valoir le site public d’information tagesschau.de :

«Personne au sein de l’UE n’a intérêt à ce que la Turquie dérive politiquement et socialement pour ressembler aux autres régimes du Proche-Orient. L’objectif de l’UE doit être une Turquie stable et démocratique. Dans une perspective occidentale, on est en droit de douter que le président Erdoğan soit la personne appropriée. Mais à 62 ans, le chef de l’État démocratiquement élu n’a jamais bénéficié d’une acceptation et d’un soutien aussi forts de la population. … Dans son insatiable soif de pouvoir, le président Erdoğan a besoin d’un correctif. Or il n’y en a pratiquement plus en Turquie. Les médias sont menés à la baguette pour propager la politique d’Erdoğan, l’opposition hurle avec les loups quand elle n’est pas stigmatisée. Mettre fin aux négociations d’adhésion ne ferait qu’accélérer la mise en place d’un système autocratique à la turque.»

Právo (CZ) /

Des menaces en l'air

L'UE ne réagit pas avec assez de fermeté aux évolutions politiques à Ankara, de l'avis du journal Právo :

«On assiste jusqu'à maintenant à une partie de poker politique. Les décisions rapides sont freinées par une interdépendance dans les domaines de l'économie et de la sécurité. Malgré l'apparence de dureté affichée vis-à-vis d'Ankara, il ne se passe rien en pratique. Il n'y a aucune réflexion sur de possibles sanctions ou embargos. Pas même de résolutions politiques contre la violation des droits de l'homme, comme nous le faisons avec d'autres pays. L'UE applique ici deux poids deux mesures. ... Mais elle se retrouve aussi un peu piégée. Une rupture avec la Turquie torpillerait l'accord sur les réfugiés. Une perspective qui aurait de graves conséquences pour la sécurité du continent.»

Adevărul (RO) /

Une rupture dangereuse entre Bruxelles et Ankara

Un conflit avec la Turquie aurait de graves conséquences géopolitiques, redoute le journaliste Cristian Unteanu sur le portail de blogs Adevărul, suite aux déclarations de Kern :

«On peut craindre d’abord que la Turquie renonce à 'contenir' les trois millions de réfugiés qui se trouvent sur son territoire. Il faut ajouter à ces chiffres le million de personnes en stand-by à la frontière syro-turque, qui attendent l’autorisation de passer de l’autre côté. Un cauchemar. … La seconde conséquence pourrait être la désorientation rapide des positions de la Turquie en matière de politique étrangère ; Ankara pourrait être en effet tentée de consolider et de développer son statut de partenaire de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Dans le cas d’une rupture entre Ankara et Bruxelles, il est fort probable que l’OCS accueille rapidement la Turquie comme un membre à part entière. … Ceci transformerait la situation géopolitique de notre région de façon radicale et durable, dans tous les domaines.»

Mladá fronta dnes (CZ) /

Les rebelles viennois brisent un nouveau tabou

En appelant à geler les négociations d'adhésion avec la Turquie, Christian Kern brise un tabou, selon Mladá fronta dnes :

«La proposition autrichienne est la réaction la plus dure formulée à ce jour par un politique européen aux purges initiées par le président Erdoğan depuis le putsch raté. Mais elle est également une réponse à l'ultimatum posé par le ministre des Affaires étrangères d'Erdoğan [Mevlüt Çavuşoğlu], à savoir l'annulation de l'accord sur les migrants si la Turquie n'obtient pas d'ici fin octobre l'exemption de visa pour ses ressortissants, qu'Ankara remplisse ou non les conditions nécessaires. ... L'Autriche a déjà brisé un tabou en matière des migrants lorsque son ministre des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, avait préconisé l'adoption du modèle australien. On n'a pas l'habitude de telles propositions de la part de l'Autriche, mais plutôt des pays de Visegrád. Or contrairement à ces derniers, l'Autriche est un pays de destination. Et à plusieurs reprises au cours de l'histoire, les Turcs ont été aux portes de Vienne.»

Süddeutsche Zeitung (DE) /

Rétablir le calme et l'Etat de droit

La Turquie a plus que jamais besoin de l'Europe, souligne le quotidien Süddeutsche Zeitung :

«Nous risquons d'assister au début de la fin d'une tentative de rapprochement historique et jadis très ambitieuse. Car si l'on peut évoquer un sentiment fondamental européen, on citera le suivant : la Turquie ne fait pas partie de l'Europe, sa gouvernance est trop autoritaire, elle est trop déchirée, trop imprévisible. ... C'est une tragédie. Car c'est justement aujourd'hui que la Turquie a besoin de l'appui européen. L'ensemble des procès contre des putschistes présumés et réels devrait être suivi par des observateurs européens. Des organisations européennes des droits de la personne devront exiger l'accès aux prisons et aux lieux de détention. Seule une analyse claire des événements qui se sont déroulés en Turquie la nuit du putsch du 15 juillet et depuis permettra de rétablir un jour le calme et l'Etat de droit dans le pays.»

Yeni Şafak (TR) /

La Turquie doit prendre ses distances de l'UE

Depuis la tentative de putsch, il est clair que la Turquie ne doit plus continuer à négocier avec l'UE, estime le journal progouvernemental Yeni Şafak :

«Y-a-t-il encore dans l'opinion turque une seule voix pro-européenne ? ... L'UE n'est plus pour la Turquie un objectif commun, mais une source de menace. Une menace venant de l'extérieur, visant à transformer la Turquie en Egypte. Depuis le 15 juillet, l'Europe, qui n'est plus en mesure de protéger sa propre intégrité, a adopté une position honteuse en essayant de déstabiliser la Turquie, voire à la dissoudre. ... Il n'y a plus de valeurs communes entre l'UE et la Turquie - la relation de confiance est brisée. En analysant les expressions d'hostilité en Allemagne et en Autriche vis-à-vis de la Turquie, on voit clairement qu'il n'est plus possible d'envisager un avenir commun.»