La mauvaise réputation
Par David Barroux
C'est bien connu. « Les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux. » Et ce n'est donc pas un hasard si une entreprise comme Monsanto ayant plus d'une fois joué un rôle de défricheur peut aujourd'hui revendiquer le titre peu glorieux d'« entreprise la plus détestée de la planète ». Pionnier des organismes génétiquement modifiés (OGM) cette multinationale américaine née au début du XXe siècle mérite incontestablement d'être placée sous surveillance. Fabriquant, pour le compte de l'armée américaine, le défoliant utilisé pendant la guerre du Vietnam et poids lourd des PCB (les fameux pyralènes très peu biodégradables et très toxiques utilisés jusque dans les années 1980 dans les transformateurs), la société que veut racheter Bayer pour 66 milliards de dollars n'a pas fait que du bien à la planète. Le procès en sorcellerie intenté contre Monsanto mériterait cependant d'être mené avec un peu plus de sérieux. Plus de raison et moins de passion. Aux yeux des altermondialistes ayant fait du principe de précaution un dogme, Monsanto, l'apôtre de la « pollution génétique », réunit tous les vices. Car, pour faire des bénéfices, ce leader de la semence est devenu une machine à breveter qui chercherait à maintenir dans un état de dépendance servile les millions de paysans de la planète. Frankenstein ultra capitaliste, la firme jouerait avec notre santé, exploiterait les faibles avec un seul objectif en tête : accumuler des dollars. Tout juste si on ne l'accuse pas de pousser les jardiniers du dimanche à se baigner dans du Roundup ! Dans notre société de l'angoisse, la caricature est devenue en fait si excessive que bien rares sont ceux qui sont prêts à écouter non pas les arguments de Monsanto, lui-même, mais ne serait-ce que ceux de la communauté scientifique. Or, cet été, une centaine de prix Nobel scientifiques ont signé une lettre ouverte pour prendre la défense des OGM. Ils n'ont fait que rappeler des faits : la science n'a pas prouvé la nocivité des organismes génétiquement modifiés. Aux yeux de ces experts, dont le cri a suscité bien moins d'intérêt que toutes les thèses complotistes et alarmistes, les OGM permettraient, aujourd'hui, de nourrir mieux ceux qui ont faim et, demain, tout simplement une planète qui va passer de 7 à 9 milliards d'habitants. Certes, le recours excessif à l'agriculture intensive a provoqué des ravages et il faut réfléchir en parallèle au développement de modèles agricoles alternatifs. Mais pourquoi se priver, au nom d'une approche quasi mystique, d'analyser au moins les mérites potentiels de semences nécessitant l'usage de moins d'eau ou de pesticides. Certains voudraient nous baigner dans un précautionisme permanent au moins aussi nocif que la consommation excessive d'herbicides. Le rachat de Monsanto par Bayer devrait être l'occasion d'un débat serein, pas d'une exécution publique sans le moindre procès.