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Ceta – C… comme démocratie

L’opposition de la Région Wallonne et de son super-héros PM a relancé le débat sur la démocratie, et c’est une excellente chose. Les débats sont non seulement une bonne nouvelle pour la démocratie, mais aussi – et surtout – le signe que l’équilibre des forces pourrait se modifier.

Chronique - Temps de lecture: 7 min

L e Collectif « Diktacratie » milite activement sur la toile et via des publications pour « démystifier notre démocratie corrompue en diffusant des textes et photos de citoyens qui n’ont pas voix dans les médias officiels ». Un site malheureusement peu actif puisque la dernière publication remonte à mars 2016. Mais le collectif a publié un petit ouvrage, Démocratie radicale contre diktacratie, où il démonte les maux qui menacent notre démocratie et défend le point de vue qu’il ne peut y avoir de liberté sans égalité.

De manière schématique, cet ouvrage dépeint une société, la nôtre, dominée par l’argent et le capital, où les populations sont asservies à un système dominé par des gens dont le seul objectif est de se maintenir au pouvoir et/ou de s’enrichir. Ce pouvoir et cette richesse sont offerts par les « citoyens » qui se laissent docilement asservir, et ce dès l’école, et ne sont plus que des « homo-consommatus », offrant leur temps aux employeurs et à l’État contre un salaire qu’ils restituent aux mêmes en consommant. En même temps, chacun de ces consommateurs est convaincu d’être un individu autonome et libre ; du coup, pour le collectif, la démocratie n’est plus qu’un « troupeau de narcisses qui se croient libres parce qu’ils se soumettent comme la majorité. »

Quelle solution propose le collectif ? Le retour à des assemblées locales, sur le modèle de la société russe d’avant la révolution, lesquelles assemblées locales se réuniraient dans des assemblées plus larges. Autrement dit, rendre le pouvoir aux citoyens et le faire remonter petit à petit aux échelons supérieurs.

Je devine déjà les bouffées de chaleur, voire les crises d’urticaire qu’une telle approche suscitera chez certains lecteurs, actifs des forums. Pire encore qu’une lecture « bobo-gauchisante » ; on est là dans le radicalisme anarchiste le plus pur ! Pourtant, au-delà de l’aspect caricatural de la présentation de la société (les oligarques d’un côté, la foule abrutie de l’autre), on y retrouve les lignes de force des mouvements citoyens qui prennent de plus en plus d’importance de nos jours, et qui ont joué un rôle majeur dans la « crise du Ceta ». Et par ce biais, c’est justement le côté caricatural de l’analyse qui est déjoué, puisque l’on voit que la société n’est pas seulement composée de consommateurs passifs et soumis.

La logique consumériste

Il faut d’ailleurs, au préalable, rappeler une évidence : si nous vivons dans une société de consommation, c’est parce que les citoyens, nous tous, l’avons voulue, cette société. Consommer est un plaisir aussi vieux que l’humanité, et il faudrait être un janséniste particulièrement dogmatique et coincé pour oser reprocher à ses contemporains ce genre de plaisir, ou pour prétendre en fixer les limites. Ce besoin est aux fondements de l’humanité, comme l’a magnifiquement analysé Bataille dans La part maudite et La notion de dépense (éditions de Minuit). On peut consommer sans être abruti.

La crise du Ceta

L’attitude du gouvernement wallon et de son chef, Paul Magnette, aura décidément fait couler beaucoup d’encre dans le monde entier (enfin, n’exagérons pas…). Il aura permis de mettre en évidence beaucoup de choses : d’abord, certains aspects de désinformation. En effet, d’aucuns se sont offusqués que le gouvernement wallon ne réagisse qu’aujourd’hui à un traité dont le texte est disponible depuis longtemps. Or, comme le rappelait le « Soir », cela fait plus d’un an que les Wallons s’opposent au traité tel qu’il est formulé et tentent de l’amender.

Il y a bien entendu dans cette attitude une part de « politique » au sens le plus négatif du terme, et on peut démonter les partis pris des arguments en défaveur du Ceta, ainsi que l’a fait courageusement Marcel Sel sur son blog. Courageusement, car il est mal vu de plaider à contre-courant, et l’opposition au Ceta est devenue une sorte de « credo » impératif pour quiconque se dit progressiste et défenseur de la démocratie – au premier rang desquels progressistes et défenseurs se place Paul Magnette. Il est piquant de voir le Premier wallon défendu par une presse internationale, parfois de droite, comme dans cet article du Figaro où l’on rappelle à juste titre le parcours brillant de ce politologue spécialiste de la politique et de la construction européennes (tous les articles sur le sujet ne sont pas aussi justes, objectifs et bien documentés, ainsi que le montre ce florilège réalisé par la RTBF.

Magnetix ou Lutgenix ?

Faut-il pour autant héroïser Paul Magnette ? Certainement pas, comme le disent de nombreux analystes et citoyen(ne)s (ce post sur Facebook l’illustre bien). On peut légitimement penser que si le PS avait été dans une majorité au Fédéral, le gouvernement wallon ne se serait pas opposé à la signature du traité en l’état actuel. Qui plus est, s’il n’avait pas été titillé, provoqué et nourri par des mouvements citoyens, actifs dans la lutte contre le traité, le gouvernement wallon n’aurait pas travaillé de manière aussi approfondie sur le sujet. De ce point de vue, Magnette n’est bien que le porte-parole et le représentant de ses électeurs et de la population qu’il administre. De même, Lutgen qui se présentait jeudi matin comme le vrai sauveur du monde n’a-t-il fait que prendre à son compte, en partie du moins, des éléments qui se trouvaient déjà dans l’accord discuté – et donc des garanties qui avaient déjà été données avant l’intervention de super-Lutgen ou de Captain Magnette –, comme le démonte Marcel Sel dans la chronique citée ci-dessus.

Le refus du parlement est donc bien, à l’arrivée, le résultat d’un mouvement citoyen, preuve que le retour et la redynamisation de la démocratie à l’échelon le plus « local » sont déjà une réalité, avec l’espoir d’une répercussion au niveau européen, qui en a le plus besoin. Ces parlements ont trop été accusés de n’être à l’écoute que des intérêts des multinationales, auxquelles les gouvernements accordent des cadeaux fiscaux ou sous d’autres formes ; il est temps de rappeler qu’il leur faut aussi écouter « en bas », la « base », leurs électeurs, les citoyens.

Je ne pense pas, comme le dénoncent Marcel Sel et d’autres, que le blocage par un village d’irréductibles, représentant 4,5 millions de citoyens sur une population européenne de 500 millions, soit contraire à la démocratie. La démocratie, c’est le respect des règles fixées en commun ; et ces règles prévoient qu’un seul partenaire peut bloquer le processus. On peut les contester et les modifier, bien entendu ; mais ce blocage par 4,5 millions de citoyens me semble moins choquant que celui d’un seul chef d’État à travers le Conseil, qui est lui-même un contresens démocratique complet au sein de la construction européenne.

Mais le plus important est ailleurs : en s’opposant au traité de libre-échange avec le commerce, le parlement wallon rappelle que la logique libérale et sa définition du bonheur ne sont pas les seules valides. Certes, comme je le disais plus haut, la liberté et le bonheur peuvent résider dans la consommation. Il faut cependant réfléchir aux conditions de cette consommation : un travail rémunérateur mais aussi enrichissant à d’autres points de vue que monétaire, dans un environnement social garantissant la justice et l’équité ; l’information et l’éducation permettant de consommer intelligemment, raisonnablement et éthiquement. Et il faut surtout faire valoir d’autres logiques et d’autres définitions du bonheur, à commencer par la mise en place d’une société véritablement démocratique, où le citoyen est en mesure de contrôler et de comprendre les mesures qui sont prises au nom de tous.

Et c’est là que les critiques les plus radicales du système actuel peuvent rejoindre une réalité citoyenne en marche, dont l’opposition au Ceta est une étape – et dont rien ne dit encore qu’elle finira par triompher.

 

Bio express

Temps de lecture: 1 min

L’auteur. Vincent Engel est romancier, dramaturge et essayiste. Il est également professeur de littérature à l’UCL et d’histoire des idées à l’Ihecs.

Les ennemis de l’intérieur ? C’est le titre de cette chronique. Pourquoi ? Je ne sais pas si la démocratie est le meilleur ou le moins mauvais des systèmes ; ce que je sais, c’est qu’il est le plus fragile. Et ses ennemis extérieurs, pour réels qu’ils soient, sont parfois l’épouvantail qui masquent un mal plus profond qui le ronge de l’intérieur…

Site internet :http://www.edern.be/vincentengel/

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