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Les primaires, machine à fragmenter la France

Les élections primaires constituent un bel exercice de démocratie. Mais elles affaiblissent ensuite celui qui les remporte. On l’a bien vu avec François Hollande. On risque de le voir à nouveau du côté des Républicains.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 7 nov. 2016 à 14:05

Au départ, c’était une belle idée. Faire choisir le candidat par tous ceux qui veulent participer à cette décision majeure de la vie politique, comme dans la grande démocratie américaine… Les Français ont adoré. Il y a cinq ans, près de trois millions d’entre eux se sont déplacés dans les bureaux de vote pour dire qui serait le candidat à l’élection présidentielle, Martine Aubry ou François Hollande, au second tour de la primaire PS. Le succès fut tel que le camp d’en face se sentit obligé de s’y mettre, jusqu’à prendre le nom du parti du (lointain) cousin américain. Les électeurs Les Républicains, et quelques autres, vont eux aussi bientôt aller voter. Et c’est ici que commence le doute.

Non dans le vote lui-même, bien sûr. Quand les droits de la minorité sont respectés, le principe de la majorité est un système à la fois solide, juste et efficace, pour le choix du chef de l’Etat comme celui du trésorier adjoint de l’Association pour la défense des chihuahuas. Le problème est en amont puis en aval. Pour en prendre conscience, il suffit de revenir à la primaire socialiste de 2012. Six candidats s’étaient présentés. L’un d’entre eux est devenu président de la République. Son adversaire au second tour de la primaire, Martine Aubry, est partie bouder dans son igloo lillois du grand Nord. Les quatre autres sont entrés au gouvernement, du flamboyant Arnaud Montebourg au radical Jean-Michel Baylet en passant par Manuel Valls, le dernier (socialiste au premier tour de la primaire) devenu Premier (ministre), et Ségolène Royal (après un délai de carence imposé par la jalousie trierweilerienne).

Vous ne voyez toujours pas où est le problème ? Appliquez ce type de scénario aux Républicains. Alain Juppé remporte la primaire puis la présidentielle. Nicolas Sarkozy part bouder villa Montmorency voire au Cap Nègre. L’ancien Premier ministre comme François Fillon a droit, selon la coutume, à un ministère régalien – le président pourrait risquer de jouer pour une fois la carte de la compétence en lui donnant le domaine sur lequel il a travaillé des décennies durant à l’Assemblée sans jamais en avoir le portefeuille au gouvernement, la Défense. Nathalie Kosciuzko-Morizet est la seule candidate qui semble comprendre un tant soit peu que le numérique bouscule le monde du travail et l’entreprise ; il serait donc bien trop périlleux de lui confier un portefeuille qui touche de près ou de loin ces questions. De toute façon, le secrétariat d’Etat aux PME ne saurait échapper à la révélation Jean-Frédéric Poisson. NKM pourrait donc retrouver l’Ecologie, comme le fit avant elle Ségolène Royal – le fait que ce poste revient souvent à une femme indiquant sans doute la haute priorité que lui accorde la tête de l’exécutif. Mais ce n’est pas fini. Il faut encore caser l’ineffable Bruno Le Maire – à l’Intérieur, pour rêver devenir ensuite président comme Sarkozy ou Premier ministre comme Valls ? Et l’insaisissable Jean-François Copé – Commissaire spécial aux pains au chocolat, dont il s’est fait une sorte de spécialité ?

On le voit bien : cet attelage baroque ne pourra pas marcher. Pas plus qu’avec les perdants de 2012 relogés au gouvernement. La mécanique américaine est très différente. Barack Obama a certes embauché deux rivaux malheureux de la primaire de 2008: Joe Biden (vice-président) et Hillary Clinton (ministre des Affaires étrangères pendant son premier mandat). Mais c’est une exception, qui s’explique sans doute par l’obstination du premier président noir des Etats-Unis à vouloir rassurer. Outre-atlantique, les perdants de la primaire sortent habituellement du jeu politique national. Il faut remonter près d’un demi-siècle en arrière pour retrouver l’un d’entre eux dans l’administration du vainqueur (George Romney, nommé ministre du Logement par Richard Nixon). En France, les candidats à la primaire ne sont pas comme outre-Atlantique des sénateurs ou des présidents de région qui estiment leur moment venu. Ils ne sont pas dans la logique de la rencontre entre un homme et un peuple, à laquelle aspirait le général de Gaulle en forgeant les institutions de la Ve République. Ce sont des barons du parti qui s’affrontent une fois de plus dans un perpétuel jeu de pouvoirs. « Game of thrones » en version française : au lieu de s'égorger, on se redistribue des portefeuilles.

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Au lieu d’être une machine à forger peu à peu du consensus, l’élection primaire est au contraire une mécanique à fragmenter. Elle a sur la vie politique le même effet que l’eau et le gel sur un rocher fissuré. Ce n’est pas un hasard si elle a percé en France dans un parti alors piloté par un certain François Hollande. Car le PS de l’époque n’a pas su organiser le filtrage progressif des leaders, que réussissent à faire tant bien que mal tous les grands partis européens. Les Républicains en sont aujourd’hui au même point. Sans doute faut-il y voir la remontée d’un système électoral lui-même ravageur. Les deux tours de scrutin ravivent de redoutables oppositions, comme le vent soufflant sur des braises. Ils encouragent l’émergence de trois ou quatre tendances, qui peinent à travailler ensemble après l’élection, et rendent impossible une large coalition.

Cette mécanique se condense dans une formule classique : « Au premier tour, on choisit ; on second tour, on élimine ». En conséquence, l’heureux élu a une base de soutien d’un quart, tout au plus un tiers de l’électorat. Alors qu’il n’est pas facile de gouverner dans de telles conditions, la primaire, elle aussi à deux tours, réduit encore cette base. Le président devient le produit d’un double choix négatif! Au départ, la primaire était une belle idée. A l’arrivée, elle creuse une faille profonde du système politique français. Les plus optimistes pourront toujours se rassurer en espérant qu’un système encore plus inefficace ne peut que disparaître encore plus vite.

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