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Les candidats des primaires sont-ils des hommes-sandwiches de la politique ?

Cour du Palais de l'Elysée - Crédits Photo: Wikipédia.

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les primaires apparaissent désormais comme un passage obligé, à gauche comme à droite. Pour Arnaud Bouthéon, ce «loft électoral» tragi-comique est loin des aspirations, des craintes et des attentes des citoyens français.


Arnaud Bouthéon est conseiller en stratégie de communication et cofondateur de Sens Commun.


«Les grandes choses de l'Etat sont tombées, les petites seules sont debout, triste spectacle public ; plus de police, plus d'armée, plus de finances ; chacun devine que la fin arrive. De là dans tous les esprits, ennui de la veille, crainte du lendemain, défiance de tout homme, découragement de tout chose, dégoût profond». Dans son introduction à Ruy Blas, Victor Hugo avait tout décrit de l'effondrement d'un monde, anticipant presque la pathétique fin de règne du pouvoir hollandais. L'acédie mine le pays, encore trop anémié pour se révolter. Trouvons-lui son hochet. Pour l'occuper, le divertir. Peut-être aussi, le disperser. Le nouveau produit des primaires nous vient d'Outre-Atlantique. Tel un formidable bonus démocratique, il offrirait ce second effet d'ajuster désormais à quatre années l'exercice du pouvoir présidentiel. Le temps presse. Accélérons. Parions, jouons, dansons, demain nous serons morts?

Le marché des primaires est surtout et avant tout un puissant contenu médiatique, célébrant le triomphe de la « sondocratie ».

A tribord toute, l'intelligent Alexis Corbière, dans un petit essai tonique nous a décrit le concept. Le marché des primaires est surtout et avant tout un puissant contenu médiatique, célébrant le triomphe de la «sondocratie». La première manche d'un nouveau championnat qui devrait occuper plusieurs millions de consommateurs, apprentis sélectionneurs.

Leur mission: écouter les oracles et départager les compétiteurs, au gré d'un feuilleton de faits divers, de crocs-en jambes, de raccourcis, de mesquineries, d'haines recuites, de simulations et de projections. Nous dégusterons une multitude de faits de matchs, aussi peu spontanés qu'intelligemment orchestrés. Les annonceurs sont aux anges et les rédactions sur le pont. Le temps de cerveau disponible sera abreuvé par un produit formaté qui repose sur les quatre leviers de notre postmodernité épuisée: l'incertitude et la vitesse, l'émotion et l'identité. Ce cocktail prouve tous les jours son efficacité. Les communicants et stratèges du marketing optimiseront la mise en rayon dans des canaux de distribution éprouvés.

Les experts nous diront que l'acte d'achat repose aussi beaucoup sur le packaging, cet habillage extérieur qui embellit et attire le chaland. Ce sera la posture, le verbe et le geste.

Venons-en maintenant aux produits. Les experts nous diront que l'acte d'achat repose aussi beaucoup sur le packaging, cet habillage extérieur qui embellit et attire le chaland. Ce sera la posture, le verbe et le geste. Pour les vendeurs, il s'agira beaucoup d'épouser les attentes du marché, rejoindre ses besoins et son émotion, rivés sur le temps court. Parler vite, simple et cru. S'aligner sur les courbes des experts et suivre leurs tendances. Dans le panier des éléments de langage, inventer la punch line qui frappe, et tester, tel le comédien en stand up, les formules qui impriment. En somme, dire à tous ces prospects ce qu'ils veulent entendre, et même parfois, l'assumer en toute sincérité. Les divertir. Répondre à la demande. Depuis les années quatre-vingt, le marketing politique est venu remplacer la verticalité de l'offre par l'horizon versatile de la demande du client électeur. Cette demande, il nous faut la capter, la scénariser puis l'amplifier, à grands coups de moulinets. Promettre et simplifier, assumer ce mode du hard discount, et parce que temps presse, privilégier la quantité à la qualité.

Fuyant la nuance, durcissant le trait, les deux favoris confisqueront l'échange en fond de court. Ils se nourriront mutuellement dans une efficace dialectique, figés dans des rôles surjoués. Ils savent, avec les médias et les oracles, que la cible est toujours un peu binaire ; il lui faut des duels d'opposition outrés. La chair et l'os, l'émotion et la raison. Au racolage bruyant et agité se pose l'alternative altière et satisfaite. Se laisser désirer. On appelle cela le marketing de la rareté. Mylène Farmer en aurait abusé pour son succès. Moi, Monsieur, je ne parle qu'aux initiés apaisés. Ne pas trop s'exposer, au risque de déplaire, de prendre la poussière. Les autres impétrants devront surtout se pousser comme jamais pour exister, oser capter les autres segments, comme ils disent. Leur mission sera de s'extraire des scénarii préétablis.

Sont-ils seulement des hommes sandwichs qui recyclent de la marchandise, au gré des opportunités ?

Au fil des débats, ce loft électoral représente une auscultation opérée sur le carburant intérieur des candidats. Déjà, nous les écoutons, les observons. Ils sont écoutés, traqués, débusqués. Nous pointons leurs errances et soulignons leur cohérence. Derrière le décorum et l'écorce de la forme, s'écoule leur sève. Derrière ces masques et ces paroles, qui sont ces hommes et femmes, êtres de chair et de sang qui s'offrent à nous? Ils sont les rejetons d'un processus de sélection nécessaire. Trop imparfait. Souvenons-nous qu'en face, au gré d'un fait divers, sa mécanique nous aura offert l'actuel locataire. En l'état, ces candidats incarnent ce panel représentatif de l'état de notre pensée, de notre système, de nos verrous, de nos angoisses et de nos rêves. Assis sur les réseaux et leurs egos, ces postulants sont en risque, surexposés. Portons-leur attention et rejoignons-les dans cet exercice de promotion auquel ils sont forcés de s'adonner. Ils sont le contenu et le contenant, le medium et le message. Dans un contexte d'aigreur et de douleur, ou pointe le désir d'espoir, sont-ils seulement des hommes sandwichs qui recyclent de la marchandise, au gré des opportunités?

Ont-ils saisi l'angoisse historique qui étreint un pays fracturé dans ce qui lui restait d'identité ?

Ont-ils saisi l'angoisse historique qui étreint un pays fracturé dans ce qui lui restait d'identité? Ont-ils compris l'ennui procuré par leurs équations comptables et leurs formules économiques et statistiques? Ont-ils vu chez nos jeunes, cette aspiration à la radicalité? Ont-ils appréhendé cette fin de cycle dans leur propre représentativité? Ont-ils discerné l'aspiration à la sobriété, à la proximité et au temps long? Veulent-ils entendre cet appel à la décélération, à la consolation, à la pédagogie et à la conviction?

Et nous, sociétaires de ce spectacle, ferons-nous le bon choix? En usant d'intelligence, en essayant étymologiquement de lire à l'intérieur, entre les choses. Citoyens, nous sommes convoqués à poser un geste historique, à émettre un son, une manifestation, à la lumière de notre juste appréhension des évènements. Ce choix sera celui de la raison ou de l'émotion? De la corporation communautaire, de l'unité imparfaite ou de la pré-dissolution? Demain, ouvrira-t-il à la manœuvre, à la négociation ou consacrera-t-il une étoffe présidentielle de conviction? Ferons-nous surtout plaisir à nos adversaires d'en face, leur offrant l'improbable scénario d'un front ou d'impossible rebond?

Cette décision n'est pas anodine. Elle sera posée non seulement à la lumière de notre histoire personnelle, de nos frustrations et aspirations mais aussi et surtout au delà, à travers ce lien mystérieux d'appartenance qui nous relie à nos compatriotes de destin, dans cette quête du bien commun.

L'élection présidentielle n'est certes qu'un élément immergé sur l'immense champ de l'action politique au sens large. L'exercice des primaires en est une étape obligée. Décryptée avec légèreté, c'est cependant avec gravité qu'elle doit désormais être assumée.

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