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Libération
EDITORIAL

Recul planétaire

par Laurent Joffrin
publié le 14 décembre 2016 à 20h56

Belle réussite ! Vingt ans de dénigrement acharné du «droit-de-l’hommisme» ont fini par payer. Ce qu’on a appelé - un peu abusivement - «la communauté internationale» contemple désormais dans l’impuissance le martyre de la population d’Alep. A force de tourner en ridicule les efforts humanitaires, de rejeter toute forme d’intervention, serait-elle la plus mesurée et la plus justifiée (la no-fly zone, par exemple), à force de portraiturer en idéalistes bêlants ceux qui veulent atténuer la souffrance des civils, à force de donner des leçons de realpolitik de comptoir à ceux qui défendent le simple droit des gens, les faux stratèges du vrai cynisme ont obtenu ce qu’ils voulaient : les hommes, les femmes, les enfants d’Alep peuvent crever, on ne lèvera pas un petit doigt pour leur venir en aide. Les esprits supérieurs de la géopolitique ont trouvé leur véritable vocation. Ils sont devenus les idiots utiles de la tyrannie.

Dans ce recul planétaire de la sensibilité humaine, dans cette indifférence à front bas face aux actes les plus contraires à la légalité internationale, dans ce retour tragique de la logique des empires, Barack Obama porte une responsabilité. Il avait tracé une ligne rouge qui proscrivait, en tout état de cause, l’utilisation d’armements chimiques (prohibés depuis les années 20). Mais quand Bachar al-Assad l’a franchie allègrement, il a reculé, laissant la France seule face à ce crime de guerre, dépitée et privée de moyens d’action. Il a donné implicitement au régime syrien un blanc-seing pour repousser les limites de la barbarie. Constatant cette éclatante abstention, Vladimir Poutine est revenu en force sur le théâtre syrien pour conforter son allié massacreur.

Les hommes de bonne volonté, pourtant, proposent une action limitée : dégager un couloir humanitaire qui permette à la population de quitter l’enfer d’Alep sans tomber aussitôt entre les griffes de ses ennemis. Convaincue de son impunité, la Russie a bloqué toute tentative en ce sens, ravalant le rôle de l’ONU à celui de l’infortunée Société des Nations des années 30 face aux agressions fascistes. Désabusée, égarée par une désinformation systématique alimentée par les agents d’influence des dictateurs, d’extrême droite ou d’extrême gauche, l’opinion, serait-elle indignée par le martyre l’Alep, a perdu tout ressort.

Et sans l’aiguillon de la société civile, les gouvernements s’abstiennent de tout risque diplomatique. Les militants de la dignité humaine ainsi neutralisés, voici revenir le temps des monstres froids.

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