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Macron, le dégagiste bienveillant

Macron, le dégagiste bienveillant

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Après la désertion de ses opposants frappés par l’abstention, le chef de l’Etat réussit à conduire jusqu’au bout un chamboule-tout inédit depuis 1958.

« Dégagez-les ! » Tel est bel et bien le message politique exprimé au fond des urnes tout au long de cette interminable séquence électorale 2017 sur le point de prendre fin avec les élections législatives. A l’orée de cette succession de compétitions, deux forces politiques antagonistes le revendiquaient haut et fort sur des modes différents. D’un côté, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, l’ancien sénateur de l’Essonne apparaissant même comme le dépositaire officiel de cette AOC du « dégagisme ». De l’autre, le Front national de Marine Le Pen qui se prétendait seule formation « anti-système ».

Ces deux mouvements sortent laminés du premier tour des élections législatives. Ils se sont avérés incapables de concrétiser les espoirs électoraux entrevus avec les performances de leurs leaders respectifs au premier tour de la présidentielle. C’est là la première question qui doit interroger au regard du résultat de ce dimanche 11 juin. Car certes, le niveau record atteint par l’abstention au premier tour de ces législatives ne peut qu’affoler. Dans une démocratie parlementaire, il vaut toujours mieux que nos représentants élus jouissent d’une vraie légitimité issue des urnes, plutôt que de voir les conflits empirer de façon incontrôlée dans la rue, loin des hémicycles censés les exprimer, les réguler et les résoudre.

Avec cette abstention inédite pour des législatives, certains croient bon remettre aussitôt en cause la légitimité du triomphe annoncé de La République en marche pour le 18 juin. Ce sont les mêmes qui ont prophétisé tout au loin de la campagne présidentielle que la bulle Macron n’allait pas tarder à exploser... Ou qui font de l’élection du candidat d’En Marche à l’Elysée le 7 mai la seule conséquence d’un vote contraint et forcé pour faire barrage à l’extrême droite. Ceux qui raisonnent ainsi font fausse route. Ils risquent de se condamner à de longues années d’opposition faute de saisir l’ampleur du séisme politique en cours.

Plutôt que de persister à contester la légitimité du vainqueur, ou de l’attribuer peu ou prou aux prétendues « manipulations » d’un « système » médiatique énamouré, les partis d’opposition feraient mieux de s’interroger sur leurs propres faiblesses, sur ces lourdes carences qui les ont empêchés de mobiliser leurs électeurs et les conduisent au bord de la disparition pour le PS voire LR, ou de l’explosion pour le FN.

Car ce ne sont ni les débuts d’Emmanuel Macron au pouvoir, ni les premiers pas du gouvernement d’Edouard Philippe qui sont à l’origine de l’affolante désaffection civique enregistrée ce dimanche. C’est l’incapacité de la France insoumise, du Front national, de LR et du PS à donner corps et crédit à une opposition crédible. Les électeurs macronistes se sont déplacés, eux. Ce sont les autres qui ont déserté. Cette défection est une nouvelle illustration de la disparition de ce vieux monde politique à bout de souffle qui a fait le lit du macronisme.

C’est faute de combattants solides que le chamboule-tout réussi par le nouveau président de la République est, au sens propre du terme, prodigieux. Ce basculement d’un monde politique à l’autre renvoie inévitablement au changement de régime de 1958. Au bout de quarante ans d’une crise ininterrompue, les Français, comme le pays, étaient mûrs pour opérer un tel chambardement. Ils voulaient tout changer vraiment, mais pas tout casser. Du neuf certes, mais pas d’affrontements. Le K-O pour les visages d’hier, mais pas de chaos pour demain.

Un grand souffle d’air frais, mais pas de vociférations.

Bref, cette année 2017 marque bel et bien l’avènement du « dégagisme » mais d’un « dégagisme » bienveillant, presque apaisé, dont Emmanuel Macron est parvenu à se faire l’apôtre. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette longue séquence électorale aussi inédite que stupéfiante.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne