Edito: le pari audacieux et risqué de Benoît Lutgen
- Publié le 20-06-2017 à 06h27
- Mis à jour le 20-06-2017 à 06h33
Un édito de Francis Van de Woestyne.
Benoît Lutgen, le président du CDH, a pris tout le monde par surprise. Sentant monter chez ses militants, chez ses parlementaires, chez ses ministres un vrai ras-le-bol à l’égard des socialistes, il a proposé lundi à son bureau politique - qui l’a approuvé à l’unanimité - de prononcer le divorce brutal avec le PS. Est-ce loyal ? Non. Est-ce élégant ? Non. Est-ce risqué ? Oui. Est-ce audacieux ? Oui. Apparemment, la coupe était pleine. Les humanistes dénoncent deux dérives. Le rapport du PS à l’Etat tout d’abord. Le socialisme est une idée défendable, pourvu qu’elle serve à la collectivité et pas à un parti et ses amis. Le rapport à l’argent, ensuite. Certains socialistes, quelques-uns seulement mais cela suffit, se sont servis plus qu’ils n’ont servi la collectivité.
Le geste de Benoît Lutgen est très politique. Le président a procédé à une analyse clinique et conclu que, pour son parti, tout valait mieux que le "scotchage au PS". Tout, quitte à se retrouver dans l’opposition. La tactique n’est pas dénuée d’arrière-pensées stratégiques. Le CDH est un parti en grandes difficultés. Les sondages sont très mauvais. Les élections communales auront lieu en 2018 et déjà, certaines négociations se dessinent entre PS et MR. Il fallait donc, même si cela n’est pas dit, enrayer cette vague d’accords. Autre élément : des discussions informelles ont lieu, depuis un certain temps, entre des personnalités du CDH, d’Ecolo et de Défi pour constituer une sorte d’En Marche belge. Ces discussions patinent. Benoît Lutgen a compris qu’il y avait une sorte de "momentum" permettant de remettre le CDH au centre du jeu.
Cela dit, le stratagème de Benoît Lutgen comporte certains risques. Le premier, est de provoquer une longue crise politique qui paralyserait les trois gouvernements concernés : Wallonie, Communauté française et Bruxelles. Et de voir d’importants projets ralentis voire abandonnés. Pour certains, ce serait dommage (le Pacte d’excellence, le Plan Marshall), pour d’autres, ce serait plutôt bien. Certains assurent qu’en négociant un programme resserré autour de quelques points forts, cela peut aller vite. Un mois. Tout dépendra des acteurs autour de la table.
C’est le deuxième risque. Le scénario le plus probable est que trois partis entament des discussions : CDH, MR et Défi. Dans le trio cité, le parti d’Olivier Maingain sera numériquement indispensable à la Communauté française. C’est lui qui aura la clé de l’accord. A moins que, jugeant le geste de Benoît Lutgen trop déloyal, Défi ne reste fidèle au PS (ils sont alliés à Bruxelles). Le troisième risque est de faire passer ce remue-méninges pour un jeu politicien ourdi dans le seul but de sauver des personnes et des partis.
Conclusion ? Le coup de poker de Benoît Lutgen est audacieux, risqué. Il offre aux francophones, médusés par la révélation des différentes affaires, la perspective d’un changement politique, même si CDH et MR ont aussi leurs "affaires". Mais n’est pas Macron qui veut. Et il faudra juger ce chambardement à la pertinence des réformes économiques qui pourraient relancer la Wallonie.
Les socialistes crient à la trahison. L’opposition est pourtant le seul endroit où le PS, usé après 30 ans de pouvoir, pourrait se régénérer et se réinventer.