EDITORIAL

Le cœur et les droits

par Laurent Joffrin
publié le 27 janvier 2016 à 20h51

L’équilibre est rompu. Dans un gouvernement qui penchait de plus en plus vers le centre, Christiane Taubira était «au rappel», comme on dit sur les voiliers : par sa simple présence sur la gauche du bateau, elle assurait une certaine stabilité ; sautant à l’eau, elle le laisse gîter dangereusement. Imprévisible, parfois fantasque, elle incarnait par son talent, sa culture et ses prises de position sur les questions de justice la «gauche sociétale» au sein de l’équipe Valls. Oratrice redoutable dans le débat sur le mariage pour tous, elle avait forcé le respect de ses adversaires. Porte-parole d’une justice soucieuse de prévention et de garanties de droit, elle était devenue la tête de Turc de la droite la plus conservatrice. Guyanaise d’origine, «femme puissante», elle n’avait pas échappé aux haines racistes ancrées dans une certaine extrême droite. Avec son départ, l’équipe Valls perd en assise politique ce qu’elle gagne en cohérence. Symbolique, sa démission a aussi une signification stratégique. Persuadé que le centre de gravité de la société française s’est déplacé vers la droite, qu’il s’agisse de l’attitude envers l’entreprise et le marché ou de l’aspiration à une fermeté croissante en matière de lutte antiterroriste et de laïcité, le duo Hollande-Valls trace sa route sans trop s’encombrer de précautions. C’est un fait qu’une partie de la gauche a évolué sur ces questions. Mais cette ligne a son coût. La déchéance de nationalité puis le départ de Taubira heurtent la conscience d’une gauche attachée à ses valeurs. Piquer au centre ou réunir la gauche ? En démissionnant, Christiane Taubira favorise le premier terme de l’alternative. Elle restera la courageuse combattante de l’égalité pour les homosexuels et emportera avec elle la nostalgie d’une gauche du cœur et des droits sans laquelle le camp du progrès s’affaiblit.

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