Le recul du pouvoir polonais montre la force des sociétés civiles

Le recul du pouvoir polonais montre la force des sociétés civiles
A Cracovie, en Pologne le 23 juillet 2017. Un homme portant un masque du président Andrzej Duda proteste contre les changements radicaux du système judiciaire polonais. ((BEATA ZAWRZEL / NURPHOTO))

Après le Brexit, faudra-t-il un jour parler de "Polexit" pour la Pologne, ou carrément d’"Estexit" ?

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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La décision lundi du président polonais Andrzej Duda de mettre son veto sur deux des trois réformes de la justice proposées par le gouvernement de Varsovie et adoptées par le Parlement, écarte la menace pour un temps. Mais il s'agit assurément d'un répit, d'une simple bataille gagnée dans la "guerre de l'illibéralisme" menée au sein même de l'Union européenne ; un pas en arrière après plusieurs pas en avant…

2017, l'année de la victoire de l'"illibéralisme" ?Le président Duda, auquel nul ne prêtait jusque-là une telle force de caractère, a confié avoir été impressionné par Irena Zofia Romaszewska, une Polonaise de 77 ans, ancienne intellectuelle associée à l'épopée de Solidarnosc à l'époque communiste. Ayant vécu dans un temps où les procureurs avaient tous les pouvoirs, elle n'avait pas envie de la revivre, lui a-t-elle dit. Or c'est exactement de ça qu'il s'agissait dans la réforme de la justice : la fin de la séparation des pouvoirs et la mainmise du politique sur la nomination des juges.

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"La Pologne se transforme en pays autoritaire et anti-démocratique"Peut-être a-t-il été influencé par cette figure historique de la dissidence. Mais le chef de l'Etat polonais a dû l'être surtout par la mobilisation de la jeunesse, qui a investi en masse les avenues et les places de Varsovie pour défendre l'Etat de droit et les valeurs européennes.

Si victoire il y a dans le coup de théâtre du recul du pouvoir lundi, elle est essentiellement due à cette mobilisation massive, en plein cœur de l'été, de la société civile polonaise, et surtout des plus jeunes qui, selon tous les sondages, sont dans une large majorité attachés aux valeurs européennes et à une vision plus ouverte.

Nul ne se fait pourtant d'illusions en Europe centrale, la vague illibérale d'abord lancée par la Hongrie de Viktor Orbán, puis reprise par la Pologne de Jaroslaw Kaczynski, ne s'arrêtera pas pour autant. Elle correspond à une vision du monde, nationaliste, chauvine et excluante, qui a trouvé un écho populaire à un moment de bouleversements et d'incertitudes, faisant de la figure du migrant le bouc émissaire de tous les maux, et du libéralisme politique de l'Europe occidentale un symbole de faiblesse et de renoncement.

La Pologne, comme la Hongrie, ne sont pas totalement acquises à cette vision, comme en attestent les sursauts de résistance de la société civile à chacune des étapes de ce "grignotage" démocratique auquel procèdent méthodiquement les deux pouvoirs. 

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Le rôle déterminant de l'UE

La question posée depuis un moment déjà, et toujours sans véritable réponse convaincante, est celle de la réaction de l'Union européenne elle-même. Pour la première fois, la Commission européenne a clairement lancé une mise en garde à la Pologne après le vote des trois réformes de la justice, et a dû pousser un immense soupir de soulagement à l'annonce du veto présidentiel sur deux d'entre elles.

Bruxelles redoutait d'avoir à passer à l'étape suivante si les réformes avaient été validées. Le fameux Article 7 du Traité de Lisbonne , la "bombe atomique" des statuts de l'Union européenne, prévoit la suspension des droits de vote d'un Etat membre en cas de violation flagrante de ses principes fondateurs. Or il faut l'unanimité pour sanctionner un Etat, et cela aurait été impossible avec le soutien évident de la Hongrie à la Pologne actuelle. 

Rien de tel pour décrédibiliser une menace que de l'agiter sans avoir les moyens de l'appliquer. D'autant que certains dirigeants du PiS (Droit et Justice), le parti de Jaroslaw Kaczynski, ne cachaient pas qu'ils comptaient sur les menaces européennes pour susciter une vague de réactions nationalistes, n'hésitant pas à comparer le Bruxelles d'aujourd'hui au Moscou d'hier…

Les principaux acteurs de l'UE doivent impérativement redéfinir leur comportement, leur stratégie, et leurs discours, vis-à-vis des tentations autoritaires dans certains Etats membres. Ils ne peuvent ni rester silencieux, ni agiter des menaces sans lendemain…

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L'urgence concerne en particulier la Chancelière allemande Angela Merkel, principale force au sein du Parti populaire européen (PPE), l'alliance des partis de droite au sein du Parlement européen, qui compte parmi ses membres le Fidesz de Viktor Orbán. Une partie de la droite allemande est complaisante vis-à-vis du président hongrois, mais la Chancelière ne peut pas se le permettre.

Mobiliser les peuples

C'est surtout en direction des sociétés civiles des "Peco", les pays d'Europe centrale et orientale selon le jargon bruxellois, que l'Union doit communiquer. On a vu le drapeau bleu étoilé de l'Europe servir de point de ralliement aux manifestants anti-corruption de Bucarest comme aux opposants à la mainmise du pouvoir sur la justice en Pologne.

Une sourde bataille est en cours dans le secteur de l'information. En Pologne comme en Hongrie, les pouvoirs font méthodiquement main basse sur les organes d'information, publics cela va de soi - et ça se voit dans le ton des journaux télévisés -, mais aussi privés, par des prises de participation d'"amis" du pouvoir, ou par l'étouffement des médias indépendants en les privant de publicité.

L'objectif, comme dans tout pays autoritaire qui se respecte (voir la Turquie d'Erdogan en ce moment) est de limiter au maximum les voix critiques et dissonantes, pour laisser libre court à la propagande gouvernementale. Ainsi les opinions finiront par trouver "normales" les mesures arbitraires anti-migrants, les entraves à l'Etat de droit, les limites à la liberté d'expression, de réunion, de manifestation.

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Les leaders de cette "tentation illibérale" sont confortés dans leur vision du monde par les influences extra-européennes. On a ainsi vu ces dernières semaines Donald Trump s'interroger, dans un grand discours prononcé à Varsovie, sur la "volonté de survie" de l'Occident, et Benjamin Netanyahou inciter les dirigeants du "groupe de Visegrad" (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie) réunis à Budapest à se révolter contre Bruxelles en réveillant, dans un discours à huis clos relayé par un micro malencontreusement resté ouvert, la figure du "barbare" à nos portes.

Trump à Varsovie : "Le lien entre les Etats-Unis et l'Europe est peut-être plus fort que jamais"Cette complaisance peut et doit être contenue. Mais elle le sera d'abord par les peuples de ces pays eux-mêmes, à condition qu'ils voient dans le projet européen un modèle de société dynamique et attirant, l'antithèse du monstre bureaucratique, intrusif et centralisateur décrit par leurs dirigeants.

C'est d'abord en redonnant vie au projet européen que l'on évitera un "Estexit" qui n'est pas souhaitable, ne serait-ce que parce qu'il laisserait les peuples d'Europe centrale et orientale dans un huis clos sans avenir avec des dirigeants populistes. Le temps est compté, mais les jeunes Polonais qui ont fait reculer la menace illibérale ces derniers jours ont montré qu'ils y croyaient : au reste de l'Europe de ne pas les décevoir.

Pierre Haski

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