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L'Allemagne, une étoile qui pâlit

Il faudra attendre le mois de mars pour voir surgir en Allemagne un éventuel gouvernement de coalition CSU et SPD. Un délai interminable face à l'accélération du monde. Mais surtout, une indécision qui commence à faire douter de ses capacités de leadership en Europe. 

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 30 nov. 2017 à 16:03

Si l'on comprend bien, en Allemagne, les Allemagne : les sociaux-démocrates prêts à discuter avec Merkel pour constituer une nouvelle grande coalition vont commencer sérieusement après Noël et elles ne semblent pas devoir aboutir avant février ou même mars. Et encore, l'affaire du glyphosate, où le ministre de l'agriculture CSU a pris position en solo contre le ministre de l'Environnement SPD, montre que le dialogue s'engage très mal. Les élections, rappelons-le, ont eu lieu le 24 septembre dernier. Cela fera presque six mois d'attente avec un gouvernement provisoire. L'Allemagne est sérieuse, personne n'en doute, mais quand on observe l'accélération du monde, la lenteur germanique est sérieusement problématique.

Cette attente ne serait pas grave si l'échec de la tentative précédente de la chancelière d'unir son parti avec les libéraux et les écologistes n'avait pas fait apparaître un mal beaucoup plus grave : le rapetissement de la politique allemande. Il flotte outre-Rhin un air du temps frileux, fait de craintes de l'avenir, de crispation conservatrice, de repli sur soi. Les partis politiques sont comme paralysés, tous ne proposent qu'une poursuite du mode de vie comme avant, aucun n'a d'idée véritable pour projeter l'Allemagne dans les immenses défis du siècle qui s'ouvre pour le monde et pour l'Europe. Depuis un siècle, résume parfaitement Ana Palacio, ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères , la « question allemande » était sa surpuissance en Europe, aujourd'hui, la question « s'inverse totalement ». On redoute une Allemagne incapable « d'assurer son leadership de guide et défenseur de l'Europe au sein d'un monde globalisé ».

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Christian Lindner, le chef du FDP (Libéraux) en est la triste illustration. Il a rompu les discussions avec Angela Merkel en faisant preuve d'une intransigeance et d'un opportunisme peu courant dans le pays du « compromis », il a placé sans vergogne le score de son parti avant l'intérêt de l'Allemagne. Surtout, il a fait virer de bord le FDP sur l'Europe, s'affichant sinon anti-européen du moins très euro-réticent. Ces dernières années, l'Allemagne a profité de l'Union, comme le démontre son énorme excédent commercial et elle a su résister à la crise de l'euro et aux demandes des pays latins de tourner le dos à la rigueur budgétaire pour inventer des mécanismes fédéraux dont le résultat était toujours de faire « payer les Allemands ». Mais cette période est finie, tout le monde le sent intuitivement outre-Rhin. La richesse est là, le chômage au plus bas, la croissance forte, mais demain s'annonce mal, le modèle est fragilisé, le socle de la réussite est fissuré.

Les limites de l'économisme

D'abord la tranquillité. Le parapluie américain a été retiré par Donald Trump, plongeant la RFA dans le désarroi. Est venu le moment où il faut abandonner l'économisme si profitable pour accepter de participer à une défense européenne. Il faut tout créer, une vision géostratégique, des concepts de sécurité et d'intérêt, une armée, un financement. L'Allemagne doit sortir de l'après-guerre, se donner un rôle dans le monde. Mais cette transformation germanique n'est pas dans la tête des Germains d'aujourd'hui, bien trop confortables dans leur pacifisme. En outre, sur ce sujet, il faudra parler avec la France, une France bien plus à l'aise, une France qui adore se donner un grand rôle quand l'Allemagne en a peur, la construction est asymétrique.

Menace chinoise

Ensuite, la prospérité. La Chine et la Californie sont des alliés qui deviennent ennemis. Première exportatrice en Chine, l'industrie allemande a profité comme aucune autre du développement chinois. Elle y vend des machines et des milliers de berlines. Mais la nouvelle ère engagée par Xi Jinping pour amener son pays vers des productions de haute technologie et de haut de gamme va faire de l'importateur un très redoutable concurrent direct. La division du travail d'hier qui donnait la place d'en haut à l'Allemagne est remise en cause avec brutalité. La Chine investit des milliards de milliards, même riche l'Allemagne ne peut suivre. Les autres industries européennes ont été blessées, que va-t-il advenir du pilier industriel germanique ?

La Californie vient de fermer le piège. L'Allemagne n'avait pas su développer une industrie informatique dans les années 1970, mais elle avait su l'intégrer à ses machines et ses automobiles, renforçant celles-ci. Très habile adaptation. Aujourd'hui, les Gafa viennent directement attaquer la mécanique, d'abord par la distribution et la connaissance des clients, ensuite par la voiture autonome. Les groupes allemands pourront-ils refaire une adaptation gagnante comme il y a trente ans ? Le danger est existentiel.

Esprit de clocher

La bonne réponse face aux défis n'est plus à l'échelle d'un seul pays, fût-il ingénieux et très sérieux. Sécurité et économie, la question posée à l'Allemagne est celle de son virage en faveur d'une « Europe puissance », seule capable, si elle est unie, d'en remontrer aux deux empires. La souveraineté ne se retrouve qu'au niveau de l'Union européenne, dit avec raison Emmanuel Macron. L'Allemagne a su par ses vertus s'enrichir de la construction européenne. Cela ne suffit plus. Assurer son avenir impose qu'elle cesse de faire l'autruche, qu'elle arrête de dire aux autres pays qu'il suffit de faire comme elle et qu'elle accepte de défendre au niveau européen un modèle économique et social que les autres empires contestent. Le SPD est plus ouvert aux thèses françaises, tant mieux. Mais encore faut-il en convaincre une opinion malheureusement de plus en plus encline à l'esprit de clocher.

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