Neumann - L'Autriche et les autruches

Comment Norbert Hofer, le candidat de l'extrême droite, a-t-il pu rafler 36 % des suffrages lors du premier tour de l'élection présidentielle ?

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Jeune et loin des outrances des candidats précédents de son parti le FPÖ, Norbert Hofer (à droite) a aussi surfé sur les angoisses nées de la crise des migrants.
Jeune et loin des outrances des candidats précédents de son parti le FPÖ, Norbert Hofer (à droite) a aussi surfé sur les angoisses nées de la crise des migrants. © APA/AFP

Temps de lecture : 4 min

Il serait tentant, cette semaine, de commenter le « ça va mieux » de François Hollande : 60 000 chômeurs de moins en mars, + 0,5 % de croissance au premier trimestre 2016, des faillites d'entreprises en baisse de 10 %, la consommation des ménages et les investissements qui repartent à la hausse… Sans parler de ce contrat pharaonique de 34 milliards d'euros signé par la DCNS pour la fourniture de 12 sous-marins à l'Australie. Il faudra cependant du temps, beaucoup de temps, pour savoir si cette embellie est durable et si elle produit réellement ses effets sur le quotidien des Français.

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Il paraît plus urgent, en revanche, de comprendre comment l'extrême droite a pu surgir en tête du premier tour de l'élection présidentielle en Autriche et pourquoi le candidat du Parti pour la liberté (FPÖ), Norbert Hofer, a pu totaliser près de 36 % des suffrages (15 points de plus qu'aux législatives de 2014), jusqu'à éliminer du second tour les deux grandes formations politiques autrichiennes qui se partagent le pouvoir depuis la Seconde Guerre mondiale. Le 22 mai prochain, lors du second tour, justement, Hofer n'affrontera ni le candidat social-démocrate Rudolf Hundstorfer (SPÖ) ni le chrétien-conservateur Andreas Khol (ÖVP), qui ne réunissent que 11 % des voix chacun, mais un écologiste, Alexander Van der Bellen (20,4 %).

LIRE aussi Présidentielle en Autriche : les partis groggy après le « tsunami » d'extrême droite

Certes, les mouvements populistes d'extrême droite progressent dans toute l'Europe : 21,1 % pour le Parti du peuple au Danemark, plus de 20 % pour Jobbik en Hongrie, 16 % en Lettonie et en Norvège… Mais le cas autrichien interroge plus encore la situation en France.

La crise migratoire

Première explication : l'envie forte de débloquer le système politique et de changer les têtes. Nobert Hofer vient à peine de fêter ses 45 ans quand l'âge de ses adversaires oscillait entre 64 et 82 ans ! Surtout, gauche et droite, sociaux-démocrates et conservateurs, se partagent le pouvoir depuis plus de soixante-dix ans. Mieux : depuis 2008, ils dirigent le pays ensemble au sein d'une grande coalition à l'allemande. Envie de changement, donc.

Mais cette aspiration au renouveau ne serait rien sans la seconde explication qui, elle, tient en un chiffre : 90 000. C'est le nombre de demandeurs d'asile accueillis par l'Autriche en 2015, soit un peu plus de 1 % de sa population. C'est-à-dire plus que le nombre de naissances (82 000) dans ce pays de 8,5 millions d'habitants. Il n'en fallait pas plus pour accréditer l'idée d'une « submersion migratoire » et pour alimenter la fumeuse théorie du « grand remplacement ».

Ce n'est pas la crise économique qui a pesé dans ce vote protestataire, ni même l'augmentation récente du chômage, mais bien la crise migratoire. Toute la campagne électorale a tourné autour de ce seul et unique sujet. Immigration, frontières, islam, question identitaire… La majorité au pouvoir a eu beau promettre le renforcement des contrôles aux frontières et même la construction d'un mur de quelque 250 km, rien n'y a fait. Aussitôt connus les résultats cataclysmiques de ce premier tour, la coalition a même fait voter un nouveau texte restreignant le droit d'asile en Autriche et plafonnant l'accueil à 37 500 demandes pour l'année en 2016.

Dédiabolisation

Nobert Hofer a donc habilement surfé sur la question migratoire. Encore fallait-il, pour renverser la table, rendre le vote FPÖ acceptable. Mieux : respectable. Pour y parvenir, le parti d'extrême droite autrichien a appliqué à la lettre la stratégie de « dédiabolisation » de Marine Le Pen : 1) un candidat portant beau, jeune, souriant, aimable, issu des milieux populaires, mettant en avant sa femme et ses quatre enfants et ne cachant pas son handicap (dû à un accident de parapente) ; 2) des dérapages verbaux désormais interdits ; 3) un grand nettoyage de l'arrière-boutique peu ragoûtante d'un parti qui, jusqu'ici, n'avait jamais renié ses accointances avec la mouvance néonazie.

Le résultat est spectaculaire : Nobert Hofer recueille 36 % des suffrages, alors que, pour la précédente élection présidentielle de 2010, la candidate du FPÖ, Barbara Rosenkranz, avait à peine dépassé les 15 %. Et pour cause : cette mère de 10 enfants, connue pour organiser dans son jardin une « fête du solstice » à connotation païenne, militait, entre autres, pour la révocation des lois interdisant toute discussion ouverte sur le régime nazi. Elle était par ailleurs l'épouse de Horst Rosenkranz, ouvertement lié aux néonazis, directeur de la revue Fakten, célèbre pour sa dénonciation des « poncifs éculés des prétendus crimes de la Wehrmacht et des horreurs des camps ». Rien tout de cela avec Hofer, qui s'évertue à offrir tous les gages nécessaires de respectabilité. Le président de son parti, Heinz-Christian Strache, s'est même rendu voici quelques jours au mémorial de la Shoah à Jérusalem. En revanche, le discours anti-immigré, lui, est toujours aussi radical. Résultat : Hofer recueille désormais quelque 72 % du vote ouvrier !

Un tel scénario peut-il se reproduire en France en 2017 ? Peut-être, mais la victoire de Hofer, le 22 mai prochain, est loin d'être acquise. Le candidat risque de se heurter au même plafond de verre que Marine Le Pen lors des élections départementales et régionales. Pour autant, l'on aurait tort de se voiler la face et de faire l'autruche devant l'Autriche.

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Commentaires (33)

  • faible d'esprit

    A force de ne pas vouloir constater la réalité de la vie en face, ce qui devait arriver arrive.
    La pire des solutions va se présenter, et risque de couper le pays en deux, ceux qui dirigent vivent dans un monde protégé et ne comprennent pas ce qui se passe, ils utilisent des slogans usées jusqu'à la corde sans rapport avec la réalité. Ils restent la tête dans le sable comme les autruches, pour ne pas avoir à prendre les décisions qui s’imposent.
    Le risque de communautarisme semble le plus élevé, la société va se scinder en deux : les natifs du pays et les autres. Non les français de souche ne veulent pas voir leur mode de vie et leur culture disparaître, dire cela n'est pas du racisme, et par l’incurie, le manque de courage des responsables, les français risquent de se jeter dans les bras de celui qui saura, objectivement ou pas, répondre à leurs angoisses. Beau résultat après des décennies d’immobilisme électoral à ne pas nommer les choses et faire ce qu’il faut.

  • nestor 75

    Un parti qui, manifestement, n'est plus extrémiste comme le montre très bien l'article de M. Neumann... Comment pourrait-on croire que 72% des ouvriers autrichiens sont des extrémistes de droite ?

  • markus

    Trop, c'est trop ! Les peuples européens ne veulent plus d'une immigration massive, de plus, clandestine, qu'ils savent dangereuse pour leur identité. Pas de langue commune, des siècles de différence culturelle, des abîmes entre les valeurs des uns et des autres. Et enfin, une religion, qui, est incompatible avec nos démocraties. Et tout cela, il faut le nier ? Ne pas le voir ? Dire le contraire des faits, du quotidien ? Voilà la raison des 36 % du vote Autrichien ! Alors, nos journalistes/humanistes devront continuer à employer les termes de "populistes", ''d'extrémistes", de " tout ce qu'ils voudront"... Les peuples européens ont fait leur choix ! Seuls !