La rue peut-elle renverser la réforme de Macron ?

Des centaines de milliers de Français ont manifesté mardi dans tout le pays pour protester contre la réforme du code du travail initiée par Emmanuel Macron. La contestation populaire est considérée comme le principal obstacle à la mise en œuvre du projet. Les éditorialistes assurent toutefois que le président français maintiendra le cap.

Ouvrir/fermer tous les articles
El Periódico de Catalunya (ES) /

Les atouts du chef de l'Etat

Face aux puissants syndicats français, Macron a de meilleures cartes en main que son prédécesseur, observe El Periódico de Catalunya :

«Cette réforme était une composante essentielle du programme électoral de Macron, et il paraissait évident qu'elle se heurterait à une vive résistance syndicale. Nous venons d'en avoir un avant-goût, même si celle-ci est restée limitée. Seul un des grands syndicats a signé l'appel à la mobilisation et le nombre des manifestants a été plus faible qu'il ne l'avait été sous son prédécesseur François Hollande, lors d'une réforme semblable. Face aux syndicats divisés, Macron a par ailleurs deux atouts en main : une majorité absolue et deux ans et demi au cours desquels il n'a pas à se soucier du moindre scrutin. Ce n'est pas rien.»

The Independent (GB) /

Le président restera droit dans ses bottes

Macron ne cédera pas, croit savoir The Independent :

«Tous les présidents et Premiers ministres de ces dernières années ont cédé à la pression de la rue et ont renoncé à mener des réformes essentielles, dès la première grève ou le premier jet de gaz lacrymogène. ... Macron a la possibilité d'inverser cette tendance. ... La perspective de troubles violents constitue un test nouveau et désagréable pour Macron, mais penser qu'un 'mardi noir' ruinera tout est très exagéré.»

La Tribune (FR) /

La résistance s'essouffle

Macron s'était concerté avec des employés de la SNCF cet été quant à son projet de réforme ferroviaire. Leur réaction à l'initiative montre que l'offensive réformatrice du président porte ses fruits, selon La Tribune :

«Il avait osé aborder tous les sujets qui fâchent : régime spécial de retraite, statut, ouverture à la concurrence. Dans d'autres temps, de tels propos auraient déjà mis en grève tous les transports publics. Pour les ' fainéants, les cyniques et les extrêmes ', aborder de front ce sujet explosif en même temps que celui du Code du travail aurait de quoi mettre la France à l'arrêt, comme ce fut le cas à l'hiver 1995. Et pourtant, ce n'est pas (encore) le cas, signe que les esprits ont évolué et que l'opinion est désormais sinon acquise, du moins résignée, à la nécessité des réformes.»

Der Standard (AT) /

Macron pousse les Français dans la rue

Le président Macron est le premier responsable des manifestations contre son projet de réforme, critique Der Standard :

«Macron froisse de plus en plus ses compatriotes en tenant des propos condescendants, comme s'il avait perdu tout son tact. 'Les Français détestent les réformes', s'était-il plaint récemment - ce qui s'apparentait déjà à un appel à manifester contre son propre projet. Macron parviendra probablement à imposer sa réforme - mais à quel prix ? Il faudra attendre des années pour voir si la libéralisation du marché du travail crée réellement des emplois. L'effet psychologique, à savoir le climat de renouveau ainsi généré dans le pays, semblait avoir la priorité. Mais si Macron, en plus des syndicats, fait aussi descendre les fonctionnaires, les retraités et les étudiants dans la rue, cet élan en pâtira inévitablement.»

Libération (FR) /

La mobilisation des 'fainéants'

Avec son commentaire sur les "fainéants", Macron vient de donner un véritable stimulus à la contestation, estime Libération :

«Viendront bien sûr les 'syndicalistes fainéants', qui passent leur temps à distribuer des tracts et à se réunir dans des salles enfumées. Se mobiliseront les 'fonctionnaires fainéants' qui se parent de leurs manches de lustrine pour confectionner toute la journée des cocottes en papier. Se joindront encore les 'ouvriers fainéants' jetés dans la paresse par les 35 heures ou les 'chômeurs fainéants' grassement rémunérés par Pôle Emploi, qui se prélassent jour et nuit en envoyant des CV sans réponse ... Répondront enfin à l’appel tous les 'gens qui ne sont rien', selon l’autre formule présidentielle, et qui forment la masse immense et indistincte des ratés, des bras cassés, des tocards, des sous-doués, des surclassés, des ratatinés, bref de tous les exclus de la geste héroïque du macronisme. Cela fait du monde…»

De Volkskrant (NL) /

Les citoyens redoutent la précarisation

Il existe un fossé mental énorme entre Macron et la plupart des travailleurs, commente Peter Giesen, correspondant en France du quotidien De Volkskrant :

«L'analyse de Macron est rationnelle et soutenue par plusieurs économistes. Mais de nombreux citoyens aspirent à la sécurité et à une protection collective, et non à une voie individuelle qui abandonne les travailleurs à eux-mêmes. Le chômage élevé n'est pas seulement un problème pour les chômeurs. C'est aussi une plaie qui prive le pays de son énergie et de sa confiance en lui. Thatcher et Schröder avaient impulsé une nouvelle dynamique dans leurs pays éreintés. Leur legs n'a donc jamais vraiment été remis en cause. C'est aussi la voie que Macron veut emprunter.»

Le Figaro (FR) /

Vers une 'nouvelle France'

Le Figaro place de grands espoirs dans le zèle réformateur de Macron :

«En a-t-on fini avec le 'mal français', cette disposition d’esprit qui depuis plus de trente ans faisait de la France un pays indifférent à l’évolution du monde et seulement attaché à préserver un modèle qui n’avait plus de 'social' que le nom ? Il est trop tôt pour le dire mais les réactions étonnamment mesurées du monde syndical aux ordonnances indiquent que quelque chose est en train de changer dans le pays. ... Qui dit 'monde ancien' dit 'monde nouveau', et Emmanuel Macron entend l’incarner. Cela signifie qu’il ne doit pas - contrairement à nombre de ses prédécesseurs - céder un pouce de terrain à ses opposants, qui risquent d’être d’autant plus bruyants qu’ils seront moins nombreux. Et qu’il ne doit pas s’arrêter à l’issue de cette première étape que constitue la réforme du Code du travail. En France, tout est à refaire.»

Libération (FR) /

Pas de concession mutuelle

Les cinq ordonnances présentées par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sont une régression sociale, selon Libération :

«Les pays les plus 'modernes' cherchent à associer les syndicats à la marche des entreprises, par exemple en élargissant leur représentation dans les conseils d’administration. Bien entendu, il n’en est pas question dans le projet Pénicaud. De même, le 'nouveau monde' macronien aura pour effet de faciliter les délocalisations. ... Le vrai progrès eût consisté à conjuguer assouplissement du marché du travail - il est parfois nécessaire sur certains points - avec amélioration de la protection sur d’autres. Cette logique de l’échange, de la concession mutuelle, est pratiquement absente de la réforme en cours. Du coup, le Medef triomphe et les syndicats, à des degrés divers, condamnent.»

L'Opinion (FR) /

Une stratégie réussie

L'approche innovante et globale du gouvernement fonctionne, se réjouit L'Opinion :

«Les ordonnances présentées par Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont, quant à elles, un esprit nouveau : certes elles privilégient les préoccupations des entreprises, mais elles n’ignorent pas pour autant les droits des salariés. En témoignent les réactions syndicales, pour la plupart assez mesurées, à la différence de certaines déclarations caricaturales venues de la gauche. … A la confrontation voulue dans les années antérieures, le gouvernement a cette fois préféré miser sur un lien de confiance entre entrepreneurs et salariés. A l’uniformité d’une même toise pour tous les métiers et toutes les entreprises, il a substitué la diversité, au plus près du terrain.»

Il Sole 24 Ore (IT) /

Les syndicats, un frein aux réformes

La réforme qu’envisage la France s’inspire clairement de l’Agenda 2010 allemande, à ceci près qu’en France, une condition essentielle à la réussite n'est pas remplie, comme l'explique Il Sole 24 Ore :

«[En Allemagne] il y a des syndicats puissants et représentatifs, forts d’une culture du consensus, qui constituent la moitié des membres des conseils de surveillance des grandes et moyennes entreprises, grâce aux règles historiques de la cogestion. ... En France en revanche, les syndicats sont peu représentatifs mais ils ont un grand pouvoir ... Le problème n’est donc pas l’adoption de la réforme à l’Assemblée nationale, mais sa mise en application. Il y a fort à parier qu'en France, les syndicats n’accompagneront pas le changement de mentalité porté par la réforme.»

NRC Handelsblad (NL) /

Le 'révolutionnaire' sera-t-il entendu ?

Macron a qualifié sa réforme de "révolution copernicienne". Si celle-ci devait réussir, on pourrait s'attaquer aux chantiers de la zone euro, espère NRC Handelsblad :

«En s'attelant au gros problème de la zone euro et en réduisant le fossé entre la France et l'Allemagne en matière de compétitivité, Macron peut prouver sa bonne volonté et sa fiabilité. Le scepticisme est pourtant de mise. ... Un large consensus sera nécessaire pour les grandes réformes que le président français vient de présenter. ... Macron est peut-être convaincu que la France tourne autour du soleil. Reste à savoir maintenant si la population partagera son avis révolutionnaire.»

Neue Zürcher Zeitung (CH) /

De simples 'réformettes'

La réforme annoncée en grande pompe par Macron est décevante, juge Nikos Tzermias, correspondant en France de Neue Zürcher Zeitung :

«Elle apporte certes quelques avancées. Mais celles-ci s'avèrent graduelles et non radicales. L'accusation formulée par le populiste de gauche et ex-candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, à savoir que le nouvel exécutif serait en train de perpétrer un coup d'Etat et de démanteler l'Etat providence, semble donc tout à fait abstruse. Le président du MEDEF, Pierre Gattaz, a raison de dire, de son côté, qu'il ne s'agit que d'une étape importante dans la bonne direction et que la simplification du code du travail doit être poursuivie.»

Salzburger Nachrichten (AT) /

On est loin du compte

Rien n’indique que la Loi travail apportera un véritable changement, critique le quotidien Salzburger Nachrichten :

«Il serait urgent de poursuivre la flexibilisation du marché du travail imposée à grand peine et au moyen de beaucoup d’artifices par le gouvernement Hollande. Or on essaie à tout prix de l’éviter. Pas question de toucher à la retraite à 60 ans, qui engloutit des milliards qui font par la suite défaut au développement économique. Contrairement à l’Allemagne et à l’Autriche, la France n’a pas su maîtriser la mondialisation. Pour réussir, il faut jouer la carte de la qualité des produits et des services, seul atout qui permet de faire face à la délocalisation des productions industrielles vers les pays à salaires bas. Une économie qui se contente du statu quo n’en est pas capable. Cette politique et ses conséquences font de la France un pays en crise.»

Alternatives économiques (FR) /

Macron ne s'attelle pas aux véritables problèmes

La réforme voulue par Macron ne tient pas compte de développements importants du marché du travail, critique Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques :

«Depuis que Bruxelles a un peu desserré la vis de l’austérité budgétaire et que la BCE a enfin pris le taureau par les cornes, l’économie est repartie et les créations d’emplois sont nombreuses. … Le problème se situe plutôt désormais du côté de la précarité et de la pauvreté laborieuse. Quitte à revenir encore sur le droit du travail, on aurait pu attendre en effet de notre président, jeune et moderne, qu’il prenne à bras-le-corps la question de l’ubérisation de certaines activités, en donnant des droits sociaux à ceux qui travaillent pour ces plates-formes, et qu’il mette un peu d’ordre dans les multiples dérives entraînées par le développement incontrôlé du statut d’auto-entrepreneur. Mais non, ce sera pour une autre fois.»

Helsingin Sanomat (FI) /

Des réformes importantes

Macron doit absolument maintenir le cap de sa politique économique, explique Helsingin Sanomat :

«S’il veut transformer la politique, l’ancienne culture politique ne doit plus transparaître dans la nouvelle. Dès ses débuts, le nouveau gouvernement avait fait quelques ratés suite aux déboires judiciaires de certains ministres. La mise en scène des meetings et discours de Macron, qui le présentait en roi soleil alors même qu'il appelait à se serrer la ceinture, est mal passée dans l’opinion. Il n’en reste pas moins que les objectifs centraux poursuivis par Macron sont justes. Les réformes envisagées pour l’économie de la France et l'emploi s'imposent.»