Quel est le legs de la Révolution russe ?

L'automne 2017 marque le centenaire de la Révolution d'octobre. Après la déposition du tsar et une guerre civile meurtrière, les Bolcheviks avaient pris le pouvoir, avant de fonder l'Union soviétique en 1922. Seule une minorité de Russes célèbrent encore cet anniversaire aujourd'hui. Les commentateurs sondent les causes de cette perte d'importance et rappellent l'héritage historique de ce grand bouleversement.

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Efimerida ton Syntakton (GR) /

Un bilan contrasté

Dans Efimerida ton Syntakton, le politologue Takis Batzelis porte un regard nuancé sur les conséquences de la Révolution russe :

«La politique [de l'Union soviétique] a dépassé les limites des ressources nationales et de la capacité de résilience du peuple. Cette politique n'aurait eu aucune chance de fonctionner sans une administration rigoureuse et impitoyable. ... Quels sont toutefois les acquis de la Révolution d'octobre ? ... Comparée à la Russie indigente et rétrograde des années 1920, l'URSS des années 1950 était un Etat industrialisé, qui avait accompli des progrès considérables en matière d'éducation et de protection sociale. Tout ceci a été réalisé en moins de 25 ans. Sans l'industrialisation et l'éducation, il aurait été impossible à l'URSS de résister et de riposter à l'invasion nazie. »

Le Quotidien (LU) /

Le culte de Lénine repose sur un postulat erroné

Le régime né de la Révolution d'octobre a pris des traits totalitaires bien avant l'arrivée au pouvoir de Staline, estime pour sa part Le Quotidien :

«Une dictature - loin d'être celle du prolétariat - était née, ce régime responsable de la mort de millions de personnes survivra jusqu'en 1991. Il est d'ailleurs de bon ton de présenter Staline comme celui qui aurait trahi la révolution après la mort de Lénine. Mais le régime que ce dernier met en place présente déjà toutes les caractéristiques du totalitarisme : surveillance généralisée, police politique, terreur de masse, répression de toute voix dissidente. Lénine n'était pas ce pur révolutionnaire idéaliste se battant pour le bien du peuple, il était un être cynique prêt à tous les excès et toutes les tueries pour atteindre ses objectifs.»

CriticAtac (RO) /

La Russie escamote sa révolution

Alors que le monde entier commémore la Révolution d'octobre, la Russie fait exception, pointe l'anthropologue social et culturel Florin Poenaru sur le Blog Criticatac :

«Il semblerait que l'on fasse abstraction totale de toute la tradition communiste, dans laquelle la révolution d'octobre joue pourtant un rôle central, pour ne pas dire fondateur. La dislocation de l'URSS, qui marque l'effondrement du communisme, a pris la place qui revenait jadis à la révolution. … Mais non contente d'avoir rendu superflue la révolution, la dislocation a attisé un puissant mouvement révisionniste. Cette nouvelle lecture de l'histoire ouvre la voie à une nouvelle interprétation de l'époque tsariste, envisagée dans la perspective du régime failli qui lui a succédé. Ce n'est donc pas un hasard si le centenaire de la Révolution d'octobre ne fait pas l'objet de commémorations officielles en Russie.»

Der Tagesspiegel (DE) /

Poutine redoute un nouveau soulèvement

Tagesspiegel explique pourquoi les commémorations de la Révolution d'octobre sont délicates pour la Russie de Poutine :

«Cette mobilisation pour des idées bien improbables, pour le rêve d'un autre monde, complètement nouveau, suscite aujourd'hui encore l'étonnement. ... Le président et sa garde rapprochée craignent toute sorte d'émeutes, de putsch voire même d'insurrections populaires. Ils ne connaissent que trop bien l'Histoire pour savoir quel est le ventre mou de tout régime autoritaire : sa légitimité - qui, quand elle n'est pas absente, se volatilise rapidement. Poutine n'a plus d'utopie à servir à ses citoyens, il ne peut plus invoquer que la grandeur de la Russie, grandeur dont il doit à chaque fois prouver la vigueur. Et l'occupation de la Crimée est un atout qu'on ne peut jouer qu'une fois. Que faire après ?»

T24 (TR) /

L'utopie d’un monde équitable n’a pas pris une ride

Nous avons plus que jamais besoin de l'utopie d'un système plus juste, celle-là même qui avait animé les révolutionnaires en 1917, fait valoir T24 :

«L'idée de Marx selon laquelle le capitalisme creuse sa propre tombe se présente différemment dans la réalité : non seulement le capitalisme se détruit lui-même, mais il anéantit aussi toute vie sur Terre. ... Sous l'effet des catastrophes liées au changement climatique, le monde devient chaque jour un lieu où il fait de moins en moins bon vivre. ... Dans beaucoup de pays, des régimes racistes ou despotiques montent en puissance, quand ils ne sont pas déjà au pouvoir. A l'occasion du centenaire de la Révolution d'octobre, nous devrions surmonter les limites des idées de Marx et de Lénine et réfléchir aux moyens de dépasser nos problèmes actuels et les tares du capitalisme. Vive la Révolution d'octobre, porteuse d'espoir et de la possibilité d'un monde que tous les êtres vivants se partagent équitablement, sans guerre, ni classe, ni exploitation !»

hvg (HU) /

Les thèses communistes engendrent l'injustice

Les idées à la base de la Révolution d'octobre ne sauraient aboutir à une société juste, pointe pour sa part le chroniqueur László Seres dans hvg :

«Il suffit de réfléchir à la forme de société que laissent entrevoir les thèses de Marx et Engels. Humaine? Solidaire ? Libre ? Quand nous voyons un individu déterminé à atteindre ses objectifs en renversant par la force la classe dominante ; Quand nous voyons que son programme vise à interdire la propriété privée des moyens de production et le libre échange sur le marché ; Quand nous voyons qu'il veut tout collectiviser, envers et contre tout ; Quand nous voyons qu'il crée des ennemis de classe ; Quand nous voyons qu'il veut bâillonner les représentants de l'ordre ancien, il n'y a rien d'étonnant à ce que les héritiers de son idéologie aient engendré un régime de terreur.»

Õhtuleht (EE) /

Moscou se complaît dans ses rêves impérialistes

L'anniversaire de la "Révolution d'octobre" ne peut être un motif de célébration en Estonie, souligne Õhtuleht :

«Un siècle après la révolution russe, l'Estonie a vu grandir toute une génération qui n'a jamais connu 'l'Empire rouge'. Elle ignore tout du régime communiste, des barbelés frontaliers ou de l'absence de liberté d'opinion. Mais nous souffrons toujours indirectement des conséquences de ce tournant historique. Le retard du niveau de vie par rapport aux pays occidentaux en est l'illustration la plus manifeste - une conséquence directe de l'occupation soviétique, des déportations en Sibérie et de la russification. La situation ne s'est pas améliorée. Les drapeaux rouges ne sont certes plus d'actualité, mais les ambitions impérialistes subsistent. La Russie considère l'effondrement de l'Union soviétique comme une véritable catastrophe géopolitique.»

Il Sole 24 Ore (IT) /

L'anniversaire des mythes

L'anniversaire de la révolution d'octobre célèbre une interprétation erronée d'une page d'histoire vieille de 100 ans, estime l'auteur américain Paul Berman dans Il Sole 24 Ore :

«La prise du pouvoir par les bolcheviks en Russie a été le fruit du hasard. ... Personne n'avait prédit la révolution, mais sa gloire est fondée sur la fausse conviction que les pronostics scientifiques de Karl Marx se seraient avérés justes. ... L'absurdité de cette contradiction est la base du mysticisme bolchevique. Et ce qui est le plus absurde, c'est que l'attrait de ce mysticisme s'est avéré être très puissant. ... Il a été à la fois un culte de la raison et un culte de la folie. Et pendant une longue période du XXe siècle, il a exercé la force d'attraction la plus puissante au monde.»

24 Chasa (BG) /

La révolution, une simple façade ?

24 Chasa présente une autre version des événements historiques :

«Depuis cent ans, les historiens cherchent à savoir comment il a été possible qu'une poignée de bolcheviks aient réussi, le 25 octobre 1917, à prendre le pouvoir en Russie. Selon la version la plus récente, les généraux tsaristes leur auraient remis le pouvoir. … L'auteur de cette thèse, repris entre-temps par des idéologues patriotiques influents, est [l'historien russe] Oleg Strizhak. ... Mais les généraux tsaristes avaient néanmoins besoin d'une façade prolétarienne pour pouvoir continuer à régner, et ils partageaient avec les bolcheviks l'objectif de faire la paix avec l'Empire allemand. … Ce n'est pas par hasard qu'au moins 100.000 généraux et officiers tsaristes sont restés dans les rangs de l'Armée rouge après la Révolution d'octobre.»

Courrier International (FR) /

Les Russes ne se laissent plus conter fleurette

A la différence du gouvernement russe, les citoyens de ce pays se montrent de plus en plus intéressés par l'histoire, observe Courrier International :

«La société civile s'active, elle, à remuer le passé, débattant et œuvrant obstinément à exhumer le passé et alimenter la mémoire. Celle des crimes comme celle des espoirs révolutionnaires trahis. L'ère poutinienne, caractérisée par une économie de type oligarchique mâtinée de 'social', a maintenu un semblant de statu quo entre les élites et la population grâce à un fonds souverain mis largement à contribution. Mais les inégalités se creusent. Et si un nouveau contrat social n'est pas rapidement soumis au peuple, la patience des Russes pourrait atteindre ses limites.»

The Guardian (GB) /

Russie-Ukraine : s'inspirer de l'exemple de Lénine

Dans le conflit qui les oppose à l'Ukraine, les élites russes d'aujourd'hui devraient prendre exemple sur l'ancien chef de la révolution, réclame l'historien Serhii Plokhii dans The Guardian :

«Face au nationalisme croissant observé des deux côtés de la frontière russo-ukrainienne, Lénine doit se retourner dans sa tombe, au fond de son mausolée. Dès 1917, il était conscient que les Russes et les Ukrainiens étaient deux peuples distincts et que la révolution ne pouvait avancer qu'à condition de reconnaître cette diversité. Lénine a accepté l'indépendance formelle de l'Ukraine. L'enjeu auquel sont confrontés Vladimir Poutine et les élites russes aujourd'hui consiste à reconnaître l'indépendance réelle de l'Ukraine par rapport à son ancienne puissance coloniale. Cette reconnaissance est la condition indispensable à une paix durable dans la région.»