Mort d'Al-Baghdadi : et maintenant ?

Le chef et fondateur de l'"Etat islamique", Abou Bakr Al-Baghdadi, est mort. Des membres des forces spéciales américaines ont mené dimanche, dans le nord-ouest de la Syrie, une opération à l'issue de laquelle le leader terroriste s'est donné la mort, en faisant détoner une veste chargée d'explosifs. La lutte contre la milice islamiste et contre le terrorisme djihadiste est pourtant loin d'être révolue, assurent les chroniqueurs.

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Independent Arabia (SA) /

Reconstruire la région et rapatrier les djihadistes occidentaux

Independent Arabia détaille la marche à suivre selon lui pour circonscrire réellement l'influence de Daech :

«Le péril extrémiste ne pourra être efficacement combattu que si la communauté internationale s'attache à stabiliser et à reconstruire les territoires précédemment occupés par Daech. ... Il faut en outre que les Etats occidentaux assument leurs responsabilités, et acceptent de récupérerleurs ressortissants qui avaient rallié l'organisation terroriste - qu'ils soient mineurs ou majeurs -, qu'ils les traduisent en justice et les réintègrent socialement. Ils ne doivent pas s'y soustraire par peur du coût politique. ... Ces mesures sont nécessaires si le monde veut réellement pouvoir parler de 'victoire' contre le terrorisme.»

Dagens Nyheter (SE) /

Sans alliés, pas de victoire possible sur le terrorisme

Suite à l'opération réussie contre Al-Baghdadi, il faut que le président américain ouvre les yeux, juge Dagens Nyheter :

«Il devrait en tirer trois enseignements : qu'il est avantageux de disposer de soldats sur place ; que la compétence spécialisée des renseignements américains est nécessaire ; qu'il est important de prendre soin de ses alliés. Malheureusement, il ne croit à aucun de ces trois principes. ... Il est probable que les Etats-Unis aient besoin de davantage d'alliés à l'avenir, et non de moins. Si Al-Baghdadi est mort, on ne peut pas en dire autant du terrorisme. Si Trump quitte le Proche-Orient, il existe de nombreuses forces néfastes susceptibles de combler le vide ainsi créé. ... De nouveaux conflits surgiront ici ou ailleurs dans le monde. Il est bien possible que les Etats-Unis aient beaucoup plus de mal à convaincre leurs alliés potentiels à l'avenir.»

Hürriyet Daily News (TR) /

La Turquie doit rester vigilante

La mort d'Al-Baghdadi est loin de marquer la fin du terrorisme en Turquie, fait valoir Hürriyet Daily News :

«Notre pays a tellement souffert de toutes les formes de terrorisme que la mort d'Al-Baghdadi, si elle ne peut être qu'une bonne nouvelle, est aussi un appel à renforcer les mesures de sécurité et le travail de prévention. Bien entendu, il faudra veiller ce faisant à garantir que les droits de la personne humaine et la liberté d'opinion, déjà fortement malmenés dans le pays, ne soient davantage mis à mal.»

Irish Independent (IE) /

Un triomphalisme tout à fait déplacé

Trump doit se garder de crier victoire trop vite, prévient Irish Independent :

«Le triomphalisme de Trump aura fait grincer des dents jusqu'à ceux qui se réjouissent de la mort d'Al-Baghdadi. . ... Il donne à voir le spectacle déplaisant d'un nouveau président américain liquidant un individu, et estimant ainsi 'avoir fait le boulot' - or ce n'est pas le cas, et ça ne l'a jamais été par le passé. Comme les présidents successifs l'ont appris à leurs dépens, supprimer le leader d'un régime ennemi, que ce soit un authentique gouvernement, comme en Irak ou en Libye, ou bien les leaders d'organisations terroristes ou de 'califats' illusoires, comme dans le cas de Ben Laden et d'Al-Baghdadi, cela améliore rarement les choses.»

Avvenire (IT) /

L'homme blanc parle à sa tribu

Il ne fait aucun doute que toute cette opération a été conçue comme une manœuvre électorale, estime le politologue Vittorio E. Parsi dans Avvenire :

«Il n'était ici question ni de la lutte antiterroriste ni de la société civile internationale, et encore moins des opinions publiques du monde musulman. ... Trump s'adresse à sa 'tribu', pour des raisons purement électoralistes - pour en renforcer la cohésion interne, en exhibant la dépouille d'un ennemi. La mort d'un partisan de l'islamisme violent est utilisée pour fédérer un extrémisme (néo)conservateur qui courtise le suprémacisme blanc, suivant le principe 'mur contre mur'. ... Dans la mesure où il s'agit de l'objectif et où le véritable destinataire du message est l'électorat potentiel, il vaut tout à fait la peine pour Trump de heurter les sensibilités de quelques centaines de millions de musulmans dans le monde.»

Gazeta Wyborcza (PL) /

L'inventeur du terrorisme 'just do it'

Gazeta Wyborcza explique pourquoi il y aura d'autres attentats de Daech :

«Baghdadi a inventé un terrorisme qui reprend à son compte le mot d'ordre de Nike : 'Just do it !'. Dans ses vidéos, il appelait sans cesse ses partisans à agir au niveau local, de façon rapide. Au lieu de forger des plans pendant des années et de lever des fonds pour confectionner de gros engins explosifs, il leur suffisait de constuire des petites bombes, de prendre les armes ou de détourner un poids-lourds et de foncer dans la foule. Ce mode d'action a considérablement accru la portée du terrorisme de Daech : le moindre illuminé, même à l'autre bout de la planète, pouvait prendre les armes au nom de l'organisation.»

The Independent (GB) /

Les terroristes ont désormais un nouveau martyr

La mort du leader terroriste ne réjouit pas The Independent :

«[Avec un procès en justice contre Baghdadi] nous aurions prouvé au monde notre supériorité et nos normes civiques. Au lieu de cela, nous avons donné aux combattants djihadistes un nouveau martyr. Le fait est que la mort de Baghdadi n'entraînera pas la disparition ou la capitulation des islamistes. En tout état de cause, Donald Trump, qui a l'outrecuidance obscène de revendiquer personnellement la mort de Baghdadi, est celui qui a remis Daech en selle en décidant de retirer les troupes américains de Syrie.»

Tages-Anzeiger (CH) /

L'idéologie subsiste

Tages-Anzeiger explique que le leader n'avait pas un rôle mobilisateur pour les partisans de Daech :

«Abou Bakr Al-Baghdadi n'a jamais été un leader charismatique. A la différence de la propagande de l'organisation terroriste, très professionnelle et ciblant la génération smartphone et ses habitudes visuelles, son chef de file, pour sa part, se mettait en scène de manière extrêmement sobre. Baghdadi a beau avoir été à la tête de Daech, ce qui fascinait ses partisans sur tous les continents n'a jamais été sa personne. Mais l'idée même d'un nouveau califat, qui prenne forme maintenant et non dans un lointain avenir. Cette idée, à laquelle des autorités musulmanes soumises avaient trouvé bien peu à redire, subsiste.»

Večernji list (HR) /

L'éducation et la tolérance pour triompher de la haine

Il serait illusoire de croire que la disparition de Baghdadi marquera la fin de Daech, juge également Večernji list :

«Après la mort du terroriste Abou Bakr Al-Baghdadi, on peut se demander si son œuvre, à savoir le soi-disant 'Etat islamique' ou 'Califat' qu'il a proclamé en 2014, lui survivra. ... Al-Qaida avait bien survécu à la mort d'Oussama Ben Laden. Certains mouvements, de part leurs idées et leurs idéologies, subsistent après la disparition de leurs fondateurs. L'idéologie qui sous-tend Al-Qaida et Daech, c'est la haine des chrétiens et de tous ceux qui ont d'autres croyances. Or c'est grâce à l'éducation, à la tolérance et à l'amour du prochain que l'on peut espérer triompher d'une idéologie de la haine.»

Tygodnik Powszechny (PL) /

Ce sont les Etats-Unis qui ont fait de lui un djihadiste

C'est l'intervention militaire des Etats-Unis en Irak qui a été à l'origine de la radicalisation d'Ibrahim Al-Badri - le nom civil du chef terroriste -, rappelle Tygodnik Powszeczny :

«La guerre américaine en Irak a changé la vie d'Ibrahim pour toujours. La puissance occupante a dissous l'armée, la police, les tribunaux, les autorités et le gouvernement du tyran déchu Saddam Hussein. Du jour au lendemain, un demi-million de personnes, parmi lesquelles des soldats, des policiers et des agents de sécurité se sont retrouvés sur le carreau. ... Les dix mois qu'il a passés dans la prison américaine de Bucca ont été pour lui l'équivalent d'une formation dans une académie du djihad. Il y a rencontré des ex-officiers de l'armée de Saddam et des djihadistes venus en Irak pour y mener la guerre sainte contre les Américains.»