Après le départ de Morales, quel avenir pour la Bolivie ?

Evo Morales, président socialiste de Bolivie depuis 13 ans, a démissionné dimanche, à la demande de l'armée. Le pays était en proie à un mouvement de protestation persistant depuis sa réélection controversée il y a trois semaines. Les chroniqueurs tirent un certain nombre de conclusions du départ de Morales.

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Habertürk (TR) /

Le prochain gouvernement n'aura pas la tâche facile

Le pays ne pourra plus se permettre la politique sociale menée jusque-là par Morales, prévient Habertürk :

«La situation économique a déraillé en raison de l'effondrement du cours des matières premières. Il est ainsi devenu plus difficile pour Morales de financer un déficit public constant de sept pour cent. ... Difficile de dire ce qu'il se passera, mais il sera impossible d'assurer des prestations sociales aussi élevées en vendant seulement du gaz naturel, du zinc et de l'étain. Si l'on ajoute à cela le bilan mitigé de la gauche et les problèmes des voisins, le travail du prochain gouvernement s'annonce très difficile.»

Bernardinai (LT) /

La Bolivie se libère des idées stalinistes

Le portail Bernardinai.lt voit dans la démission de Morales une victoire de la démocratie :

«Qu'est-ce qui importe davantage : manger à sa faim ou être libre ? Un affamé peut-il rêver de liberté ? Peut-il se préoccuper des carences démocratiques de son pays ? Or un affamé n'est pas le seul à pouvoir être un esclave. Un individu plus que repu et atteint de mégalomanie n'en est pas moins un esclave - un esclave de l'argent et de l'arrogance. Un esclave peut-il diriger un pays ? A quoi peut bien ressembler l'avenir d'un tel pays ? Voilà la lutte qui se joue en Bolivie. Une lutte pour les valeurs morales. C'est pourquoi elle dépasse le cadre de la seule Bolivie. Les idées de Staline n'ont plus cours. Il semblerait que les citoyens de Bolivie se soient libérés de Morales, leur ersatz de Staline. ... Le pays célèbre actuellement une victoire de la démocratie.»

Wedomosti (RU) /

Riche d'enseignements pour le Kremlin

L'unique conclusion que le régime russe puisse tirer de la chute de Morales, c'est qu'il ne faut jamais autoriser des élections libres, croit savoir Vedomosti :

«Alors qu'Assad et Maduro, aux prises avec une confrontation plus dure et plus longue avec une grande partie de leur population, sont parvenus à maintenir leur dictature en place, la destitution rapide de Morales laisse penser que la fortune sourit aux partisans d'un Etat policier intransigeant et d'une réaction virulente. Ceux-ci sont convaincus que seuls les dirigeants prêts faire couler le sang et à s'entourer de faucons fidèles, qui ne rechigneront pas à faire tirer sur les manifestants, pourront se maintenir au pouvoir. Un postulat jugé d'autant plus vrai en cas d'effondrement économique, de blocage et de guerre civile - sans parler d'élections truquées ou perdues.»

Artı Gerçek (TR) /

Un coup d'Etat faciste

Pour le portail Artı Gerçek, Morales a été destitué de façon illégale :

«En fin de compte, les chefs de police, les généraux et des milliardaires capitalistes comme Camacho, qui n'ont jamais été en mesure de prendre le pouvoir par les urnes, y sont parvenus via un putsch. Le mouvement putschiste, qui s'est construit au départ sur la revendication que Morales n'avait pas mérité de l'emporter au premier tour, a débouché sur l'avènement du bloc fasciste Mesa-Camacho. Il n'y a pourtant même pas eu débat en Bolivie sur la légitimité de la victoire de Morales, seulement sur l'ampleur de sa victoire et l'écart en points. ... Les facteurs déterminants du putsch ont été le statut obtenu par les citoyens indigènes, la nationalisation du gaz naturel et la fermeture des bases militaires américaines.»

Iswestija (RU) /

Le 'big business' à l'assaut du lithium bolivien

Morales avait proclamé "patrimoine national" les ressources minières boliviennes. Après son départ, les groupes mondiaux pourront faire main basse sur les formidables gisements de lithium du pays, prédit Izvestia :

«Le gouvernement Morales a toujours été prudent avec les groupes étrangers et jusque-là, il n'avait accepté que des conseils techniques de leur part. Aujourd'hui, un boulevard s'ouvre pour les entreprises occidentales. Il est fort probable que le gouvernement de gauche de Morales sera remplacé par l'équipe de son principal rival, le pro-occidental Carlos Mesa. Il est certain que celui-ci fera évoluer le cadre légal en vigueur, de sorte que les étrangers, comme par le passé, devraient être appelés à contrôler à nouveau l'extraction des ressources minières du pays et à se tailler la part du lion des recettes. D'autant plus que le secteur du lithium est associé aujourd'hui à la promesse d'un business juteux.»

Corriere del Ticino (CH) /

Morales a bafoué la Constitution

A plusieurs reprises, Evo Morales s'est placé au-dessus des articles de la Constitution, notamment celui qui limite le nombre de mandants présidentiels successifs à deux, critique Corriere del Ticino :

«L'ex-leader syndical des cultivateurs de coca avait déjà bafoué cette règle en 2014, lorsqu'il s'était présenté aux élections pour un troisième mandat. ... Plus grave encore, la volonté du président indigène de se présenter pour un quatrième mandat en octobre dernier, occultant ce faisant l'issue du référendum qu'il avait convoqué en 2016 pour demander au peuple s'il acceptait de supprimer les limites de mandats fixé pour le président. Le non l'avait emporté, mais l'ex-syndicaliste estimant que les lois ne valaient que pour ses adversaires, il a choisi ensuite de se représenter.»

Deutschlandfunk (DE) /

La politique se retranche derrières les idéologies

Les inégalités sociales sont une explication trop simpliste à la mobilisation massive des peuples d'Amérique du Sud, constate Deutschlandfunk :

«S'il existe un point commun entre les différents foyers de crise d'Amérique du Sud, c'est bien la profonde division de la société. Une défiance de plus en plus accentuée envers les dirigeants - qu'ils soient de droite ou de gauche. A ceci aussi, il y a des explications différentes, variables en fonction des pays. On distingue toutefois un dénominateur commun : l'absence de centre. L'absence d'aspiration à un consensus politique ou social, de lutte pour mobiliser les classes moyennes, les citoyens ambitieux - car ils existent aussi en Amérique du sud. La politique se barricade derrière des idéologies détrônées depuis longtemps ailleurs dans le monde.»