Sainte-Sophie : un site du patrimoine mondial crée la discorde

Des dizaines de milliers de musulmans se sont rassemblés à l'intérieur et à l'extérieur de Sainte-Sophie vendredi pour la première prière Jumu'ah à y être tenue depuis 85 ans. Cet édifice inauguré en 537 et inscrit au patrimoine culturel de l'Unesco a été basilique chrétienne jusqu'à 1453, puis mosquée, avant d'être transformé en musée. Alors que le président turc Erdoğan fête en grande pompe la reconversion controversée de Sainte-Sophie en mosquée, la presse européenne déplore cette transformation.

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Hürriyet Daily News (TR) /

Un pays tiraillé entre deux extrêmes

La Turquie se retrouve écartelée entre deux aspirations diamétralement opposées, commente Hürriyet Daily News :

«A l'heure même où la foule se rassemblait devant Sainte-Sophie, dans un certain nombre de grandes villes, notamment Ankara et İzmir, des représentants de différentes ONG tenaient à marquer l'anniversaire du Traité de Lausanne. ... Hélas, la Turquie donne aujourd'hui à voir deux visages que tout oppose : d'une part une tendance de plus en plus nationaliste et conservatrice, de l'autre une tendance pro-démocratique, laïque et moderniste. Tandis que les tenants de la première acclament la réouverture de Sainte-Sophie comme mosquée, les seconds montrent qu'Atatürk et ses révolutions ne sont pas près de s'éteindre.»

NV (UA) /

L'Europe a perdu la Turquie

La transformation de Sainte-Sophie en mosquée montre à quel point le pays a changé radicalement sous la direction d'Erdoğan, écrit l'ancien ministre suédois des Affaires étrangères Carl Bildt dans nv.ua :

«Pendant plus de dix ans, la Turquie a suivi la voie des réformes démocratiques pour se rapprocher de l'Europe. Le pays avait même envisagé de réviser sa constitution et entamé en 2005 des négociations officielles pour adhérer l'UE. Il avait effectué une transformation impressionnante et profonde. Une évolution qui avait empli d'espoir les observateurs extérieurs que nous sommes. Mais cette page est tournée. Au lieu de se moderniser et de se rapprocher du reste de l'Europe, sous la direction d'Erdoğan, la Turquie s'enlise dans le bourbier du Moyen-Orient. A ce changement de cap fondamental, il y a de nombreuses raisons. Citons notamment l'échec du dialogue officiel du pays sur la question kurde, mais aussi la tentative de coup d'État par des militaires appartenant au mouvement Fethullah-Gülen, à l'été 2016.»

Der Tagesspiegel (DE) /

Un règlement de comptes qui va trop loin

Selon la correspondante du Tagesspiegel à Istanbul Susanne Güsten, Erdoğan ne fait que répéter les erreurs de Mustafa Kemal Atatürk :

«Celui-ci avait fondé un Etat laïque turc axé vers la culture européenne. Erdoğan et ses partisans ont toujours ressenti cette orientation comme une ingérence indue, comme l'oppression de la véritable volonté du peuple. ... Cette critique du fondateur de l'Etat turc n'est pas sans fondement. ... L'aiguillage choisi par Atatürk a eu des conséquences néfastes en ceci qu'il a chassé les musulmans pratiquants des universités et des responsabilités au sein de l'Etat, les reléguant au rang de citoyens de seconde zone. Erdoğan a réparé cette erreur, mais il en fait trop. Il est en passe de transformer la Turquie en république des musulmans, ce qui entraîne des millions de personnes non portées sur la religion ou appartenant à des minorités à s'en sentir exclues.»

Pravda (SK) /

Erdoğan maîtrise la guerre des symboles

Pour Pravda, affirmer que Sainte-Sophie restera un monument accessible à tous est un leurre :

«Ce raisonnement bat de l'aile : il s'agit ici d'une tactique politique qui s'exprime dans un langage symbolique sans équivoque. Existe-t-il un monument culturel et historique plus truffé de contradictions que la Sainte-Sophie de Constantinople, vestige de l'empire byzantin ? Que cet édifice transformé en 1453 en mosquée stambouliote près d'un millénaire après sa construction, mettant un terme à une longue période de rivalités entre chrétiens et musulmans avec pour conséquence un déplacement des équilibres géopolitiques ? Pour raviver les tensions, rien de mieux qu'une guerre de symboles. Le président Erdoğan en a parfaitement conscience.»

Berliner Zeitung (DE) /

Atatürk a gagné depuis longtemps

Erdoğan devra bientôt admettre que ce spectacle ne lui apporte rien sur le plan politique, estime Berliner Zeitung :

«Des vidéos réalisées par drones révèlent en effet que le jour où la décision a été prise, ce ne sont pas des dizaines de milliers de croyants, mais tout juste 200 personnes en liesse qui se sont dirigées vers Sainte-Sophie. D'après les instituts d'opinion, plus de 40 pour cent de la population turque pensent qu'il s'agit-là d'un moyen pour Erdoğan de détourner l'attention de la crise économique. Parmi la jeune génération Z, dix pour cent seulement s'intéressent encore à la religion. ... Erdoğan achoppe à une vérité toute profane : le modernisme laïque a imprimé sa marque à la Turquie. En vérité, il y a longtemps que le fondateur de la République, le pro-occidental Atatürk, qui avait transformé Sainte-Sophie en musée et en avait fait le symbole le plus éminent de la sécularisation de la politique turque, a remporté la partie.»

G4Media.ro (RO) /

Erdoğan en touriste égaré

Dans G4Media.ro, l'historien Ionuț Cojocaru se penche sur la relation du président turc avec Sainte-Sophie :

«Je suis l'actualité turque depuis des années, mais jamais à ce jour ne m'est parvenue la nouvelle que Recep Tayyip Erdoğan se soit rendu à Sainte-Sophie. Il ne s'intéressait pas à ce monument historique. ... Mais maintenant qu'il est considéré comme le second conquérant de Constantinople, il a posé dans l'édifice pour rester dans les annales comme un homme qui a fait l'histoire. Les photographes professionnels ont eu beau déployer tout leur talent, il me donne l'impression d'être étranger à ce lieu, ou d'être un touriste égaré, qui ne sait pas trop ce qu'il fait là.»

Público (PT) /

Un patrimoine culturel en danger

Público craint que Sainte Sophie ne change définitivement de visage :

«La conversion d'un musée en mosquée n'est pas anodine du point de vue politique et géopolitique et elle engendre des risques pour le patrimoine culturel préservé jusqu'à présent. La grande mosaïque du Christ pantocrator et d'autres mosaïques byzantines vont devoir être murées, sort qui leur avait été réservé pendant des siècles, et dans l'ensemble du bâtiment, beaucoup de détails de l'histoire chrétienne vont devoir être supprimés ou dissimulés. ... On ne quitte pas Sainte-Sophie comme on y est entré. Ce n'est pas pour rien qu'elle porte le nom de 'sagesse de Dieu'. Mais on n'entre pas dans un musée comme on entre dans une mosquée. ... Le regard et les gestes changent, et beaucoup des objets visibles aujourd'hui ne peuvent pas l'être dans une mosquée sans enfreindre les préceptes de l'islam.»

Sabah (TR) /

Résister à la pression du monde chrétien

Le journal pro-gouvernement Sabah voit dans la décision une motivation politique mais légitime :

«Nous avons été poussés à montrer que nous ne céderons pas à la pression croissante que le monde chrétien a exercée sur nous ces dernières années. Stefan Zweig, un écrivain juif, n'a-t-il pas écrit que la plus grande gifle que le monde chrétien ait jamais reçue fut celle administrée par le sultan Mehmet II le Conquérant, quand celui-ci a organisé la première prière musulmane à Sainte-Sophie ? ... C'est pourquoi Sainte-Sophie a été ouverte à la prière, tout en restant un musée. La décision relative à Sainte-Sophie est donc de nature politique.»

Ta Nea (GR) /

Un produit de l'alliance russo-turque

La politique étrangère a joué un rôle déterminant dans la décision d'Erdoğan, selon Ta Nea :

«Non, Erdoğan n'a pas décidé de transformer Sainte-Sophie en mosquée pour démanteler l'héritage kémaliste. Cette initiative est une manœuvre purement géopolitique, minutieusement élaborée à Ankara et à l'étranger. ... C'est l'alliance militaire et commerciale stratégique conclue avec la Russie, et le mépris d'Erdoğan pour Washington et pour l'OTAN qui en résulte, qui constituent la motivation première et définitive d'une décision dont la nature et le timing laissent tout de même perplexes. »

Artı Gerçek (TR) /

La preuve d'un manque d'amour propre

Artı Gerçek juge tragique la reconversion de Sainte-Sophie :

«Istanbul se ferme au monde d'une manière qui ne fait pas justice à son passé et à son identité. ... 567 années se sont écoulées depuis la prise d'Istanbul par les Ottomans. Mais force est de constater qu'on a du mal à imaginer que cette merveilleuse ville ne nous ait pas été léguée pour toujours. On essaie vainement de prouver que la ville est notre propriété, ce qui dénote en somme un manque de confiance en soi. Le patrimoine culturel universel de cette ville nous appartient à nous autant qu'au monde. Notre véritable tâche consiste à évaluer à sa juste valeur ce patrimoine historique et de permettre au monde de le contempler. Dissimuler les peintures murales de Sainte-Sophie, ne serait-ce qu'aux heures de prière, n'est pas rendre service à Istanbul.»

Berlingske (DK) /

L'UNESCO doit peser de tout son poids

Berlingske trouve bien trop faible la prise de position de l'UNESCO qui a qualifié de 'déplorable' la décision de la Turquie :

«Les nations qui contribuent à la préservation du patrimoine culturel mondial doivent donner l'alarme. Le monde occidental et ses nombreux travailleurs immigrés d'origine turque apportent chaque année à l'industrie touristique turque des centaines de milliards de couronnes ; les Turcs et le président Erdoğan sont les premiers à tirer profit de bonnes relations avec les économies occidentales les plus puissantes. Car c'est bien grâce aux aides de la communauté mondiale que l'édifice, avec sa gigantesque coupole, peut continuer d'exister : il est en effet construit en zone à risque sismique. ... En collaboration avec l'UNESCO, des ingénieurs turcs ont élaboré une solution sophistiquée. En d'autres termes : l'UNESCO doit à présent réévaluer l'importance de l'affaire et peser de tout son poids.»

Habertürk (TR) /

Que les 'mécréants' attendent-ils pour se rebiffer ?

L'opposition en Turquie a globalement salué la décision relative à Sainte-Sophie, ou ne l'a critiquée que du bout des lèvres. Au grand dam de certains partisans de l'AKP, juge Habertürk :

«Certains 'trolls', ou ceux qui les utilisent, ne sont pas très heureux que l'opposition et les journaliste qu'ils considèrent également comme des opposants n'aient pas réagi à la réouverture de Sainte-Sophie au culte. Ils voudraient qu'ils sortent de l'ombre et disent haut et fort : 'Nous ne vous laisserons pas rouvrir Sainte-Sophie'. Pour mieux les mettre à l'index et leur rétorquer : 'Ce sont des ennemis de la religion, contrôlés par les mécréants occidentaux'. ... Ils pourraient ainsi se créer un nouvel ennemi, un nouveau point de rupture. Faute de critique, ils sont amèrement déçus, peut-être au point de se demander : 'La transformation de Sainte-Sophie en mosquée n'aura-t-elle donc servi à rien ?'»

Le Monde (FR) /

La fin de la laïcité

Dans Le Monde, l'écrivaine Aslı Erdoğan réprouve la décision :

«La transformation de Sainte-Sophie en mosquée est une gifle délibérée au visage de ceux qui croient encore que la Turquie est un pays séculier. Le système séculier du kémalisme, ou plutôt de laïcité, puisque la Turquie suivit le modèle français plus que l'anglo-saxon, ... est ainsi déclaré aboli. Le régime d'Erdogan déclare ainsi que désormais l'Empire ottoman sera le nouveau modèle de la Turquie contemporaine. Ce régime ne va plus s'encombrer de valeurs morales attribuées à l'Occident ou à la société contemporaine ni, de manière générale, des concepts de modernité occidentaux, et il ne permettra pas à des bagatelles comme la loi, la démocratie, etc., de faire obstacle à sa conquête majeure… La conquête du pouvoir absolu.»

Karar (TR) /

La nostalgie d'un passé glorieux

Karar souligne la puissance symbolique considérable de l'édifice pour les Turcs nationalistes et religieux :

«Entendre l'appel à la prière retentir depuis les minarets de Sainte-Sophie et voir l'antique édifice ouvert de nouveau à la prière : un rêve qui correspond à l'idée d'une 'libération de la Turquie de la domination du monde occidental'. ... Car la transformation de Sainte-Sophie en musée avait été perçue comme l'acceptation de la défaite vis-à-vis de l'Occident. ... D'un autre côté, Sainte-Sophie nous rappelait notre glorieuse histoire et nous faisait oublier les défaites récentes essuyées face à l'Occident, sur les plans intellectuel, économique, politique et militaire. Elle incarnait l'espoir de revivre un jour ce passé majestueux. Bien entendu, la volonté de raviver les souvenirs de cet âge d'or plutôt que de nous confronter à notre misère actuelle ne témoigne pas d'un état psychologique très sain.»

Naftemporiki (GR) /

Le début de la fin pour Erdoğan ?

Le pari du président turc est fort hasardeux, estime Naftemporiki :

«Il est bel et bien possible qu'Erdoğan ait délibérément choisi de procéder à cette inconcevable offense faite à la civilisation occidentale dans l'espoir d'une 'riposte' de la part du monde chrétien. Dans un tel cas de figure, il jouera alors la carte de la 'victime' et de la 'menace extérieure' pour rassembler ses partisans autour de sa personne. Quelles que soient ses velléités, Erdoğan a pris un risque démesuré, il a cédé au péché d'hybris. ... Son initiative offense et provoque les principaux acteurs de la région, de la Russie orthodoxe à l'UE en passant par les Etats-Unis, qui auront probablement un autre dirigeant dans quelques mois. Il n'est pas exclu que Sainte-Sophie finisse par devenir sa propre Némésis.»

Adevărul (RO) /

Vents contraires à l'horizon

La querelle ne fait que commencer, estime l'analyste politique Radu Carp dans Adevărul :

«Il faut attendre de voir comment réagiront les autres Etats musulmans. Car du point de vue des principes islamiques, la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée est plutôt controversée. En outre, les autres pays musulmans portent un regard critique sur ce qui se passe en Turquie - car il est difficile d'accepter un puissant concurrent. Il est bien possible également qu'un long litige s'amorce maintenant pour déterminer qui est le propriétaire légitime de Sainte-Sophie. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a déjà condamné la Turquie en 2010 dans un litige juridique autour des possessions du Patriarcat œcuménique de Constantinople. ... La question ici est de savoir qui pourrait être le plaignant. L'idéal, ce serait que le Patriarcat œcuménique et l'UNESCO assument ce rôle.»

Wedomosti (RU) /

Songerait-on à combler les fouilles de Pompéi ?

Vedomosti s'inquiète pour les fresques byzantines uniques que renferme Sainte-Sophie :

«Pendant neuf siècles, cet édifice a été le complexe architectural le plus somptueux de la planète et il a abrité des trésors artistiques. ... Sainte-Sophie est de facto la seule passerelle entre l'art de l'Antiquité et celui de la Renaissance qui ait résisté à l'épreuve du temps. Or voilà qu'on apprend sa reconversion en mosquée. Les sols de marbres seront recouverts par des tapis et les mosaïques devront disparaître. Les autorités turques disent étudier plusieurs variantes : les masquer par des rideaux, par des installations lumineuses, ou encore les démonter pour les transférer vers un musée. Imagine-t-on un instant le gouvernement italien décider de combler les fouilles de Pompéi, afin de céder les terrains aux descendants de ceux qui y ont cultivé leurs jardins jusqu'à la fin du XVIIIe siècle ?»

Jornal de Notícias (PT) /

Un lieu idéal pour le dialogue interreligieux

Dans Jornal de Notícias, le prêtre Fernando Calado Rodrigues préconise que Sainte-Sophie soit ouverte aussi bien pour les musulmans que pour les chrétiens :

«Lorsqu'on a commencé à parler en juin du souhait d'Erdoğan de transformer le musée en mosquée, le patriarche arménien de Constantinople, Sahak Mashalian, avait proposé d'ouvrir Sainte-Sophie au culte musulman comme au culte chrétien. Ce serait la solution idéale, d'une part parce qu'elle respecterait la finalité pour laquelle l'édifice a été construit - un lieu de prière. De l'autre, parce que celui-ci deviendrait un lieu d'œcuménisme. Il contribuerait ainsi au rapprochement et à la bonne intelligence entre les différentes religions et cultures.»

Sabah (TR) /

Erdoğan enthousiasme les musulmans

Une journée historique, jubile le journal pro-AKP Sabah :

«Le président Tayyip Erdoğan, l'architecte de la décision qui parachève le désir de culte musulman dans les villes turques et qui enthousiasme les 1,7 milliard de musulmans dans le monde, restera dans les mémoires pour ses prières. ... Le 10 juillet 2020 restera le jour où il a été reconnu que la conquête de Manzikert en 1071 n'était qu'un début, que la libération de Constantinople en 1453 [par les Ottomans] était incomplète, que cette 'conquête' durera jusque dans l'éternité, jusqu'à l'apocalypse. ... Il s'agit naturellement d'une décision stratégique, mais elle mérite aussi louanges et gratitude.»

Sözcü (TR) /

L'atout suprême dans la chasse aux voix

Cette décision est censée assurer la survie politique d'Erdoğan et de l'AKP, affirme le chroniqueur Rahmi Turan dans le journal kémaliste Sözcü :

«Je flaire une volonté d'organiser des élections anticipées. Certes, la direction de l'AKP s'évertue à dire : 'Il n'y aura pas d'élections anticipées. Nous sommes déjà au pouvoir.' Mais tout semble indiquer que c'est faux. ... La Turquie accumule les déconvenues sur les plans de l'économie, du chômage, de l'Etat de droit et de la justice. ... Selon les sondages, l'AKP et son partenaire [le parti nationaliste] MHP continuent de perdre des voix. Afin de couper court à ce délitement, ils pourraient donc décider de capitaliser sur la popularité de 'l'islamisation' de Sainte-Sophie auprès de leur base religieuse pour organiser des élections. L'AKP croit avoir joué la carte 'Sainte-Sophie' au meilleur moment. Mais cela peut-il sauver le gouvernement ?»

Politis (CY) /

L'indifférence internationale

Dans Politis, l'analyste Pampos Chrysostomou s'émeut de la réponse de la communauté internationale :

«Hormis Chypre et la Grèce, qui ont sèchement condamné cette décision illégitime et réclamé son annulation, les réactions des autres Etats susceptibles de faire pression pour obtenir l'abrogation de la décision ont été tièdes, dans le meilleur des cas, ou neutres. ... La conclusion que l'on peut tirer des réactions de l'UE, de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la Russie et d'autres pays à la provocation d'Erdoğan est sans équivoque. ... Elle montre par ailleurs de quelle manière ces pays réagiront aux actions criminelles de la Turquie en Méditerranée orientale

T24 (TR) /

Une funeste instrumentalisation de la justice

Le président turc aurait dû laisser les tribunaux à l'écart du litige relatif à Sainte-Sophie, juge le professeur de droit Ali D. Ulusoy sur le portail T24 :

«La seule chose juste à faire en fin de compte, c'est de ne pas instrumentaliser les autorités judiciaires pour des affaires aussi politiques. Le président, qui a de toute façon le pouvoir et le droit de le faire, devrait décider lui-même par décret de transformer Sainte-Sophie en mosquée. Et il faudra qu'il réponde personnellement aux critiques que ne manquera pas de lui adresser la communauté internationale. Inutile de préciser que les tribunaux, pour des affaires politiques, ne devraient en principe pas avoir à assumer de responsabilité.»

NV (UA) /

Des petits jeux géopolitiques plutôt que des réformes

Le projet de transformer Sainte-Sophie en mosquée attisera les tensions dans la région, souligne Ivan Verstyuk, journaliste à NV :

«Erdoğan entend chiper à la Grèce une partie des touristes européens et a conféré à l'idée d'une concurrence avec la Grèce le statut d'une idée sacralisée de la politique turque. ... Les évènements autour de Sainte-Sophie sont l'exemple même des méthodes privilégiées par les politiques d'Europe orientale : plutôt que de réformer l'économie et d'améliorer le cadre pour les investissements, ils préfèrent jouer à des petits jeux géopolitiques, dans l'espoir de booster ainsi leur cote de popularité. Mais il ne saurait y avoir de méthode plus déplorable, pour réaliser ce dessein, que d'ouvrir la boîte de pandore religieuse.»

Hürriyet Daily News (TR) /

Trop précieuse pour servir d'intrigue

La politique n'est pas le seul enjeu de la polémique, précise le Hürriyet Daily News :

«La Sainte-Sophie est un monument bien trop beau et un témoignage historique bien trop précieux pour qu'on l'instrumentalise à des fins de politique régionale. Les gouvernements byzantins, ottomans et turcs successifs l'ont protégé des ravages du temps, assurant ainsi sa postérité pendant leur règne, mais également pour les générations futures, notamment celle à laquelle nous appartenons. Pour les étudiants en art et en civilisation byzantins et ottomans, il est essentiel que le gouvernement turc actuel poursuive cette tradition d'une gestion responsable du patrimoine.»

Le Monde (FR) /

Une transformation néo-ottomane du kémalisme

Comme Erdoğan ne peut rayer Atatürk et le kémalisme de l'histoire du pays, il tente de les "adapter", analyse l'historien Olivier Bouquet dans Le Monde :

«Certains grands symboles kémalistes sont réorientés au service de l'agenda néo-ottoman : basilique byzantine transformée en mosquée après la conquête de Constantinople en 1453, Sainte-Sophie est devenue un musée en 1934 sur décision d'Atatürk. Le président Erdogan espère en faire de nouveau une mosquée. Lors de la commémoration de la prise de Constantinople le 29 mai dernier, la 48e sourate du Coran ('La conquête') a été lue à Sainte-Sophie. Le même jour, des forages ont été annoncés dans l'espace maritime grec. L'un des navires chargés de l'opération a pour nom Fatih ('le conquérant'). … A bien des égards, l'erdoganisme est une transformation néo-ottomane du kémalisme.»

The Independent (GB) /

Un dérivatif inutile

L'avenir de Sainte-Sophie n'est certainement pas ce qui préoccupe les gens en Turquie, juge The Independent :

«Quelle que soit la décision que prendra la Cour dans les 15 prochains jours, quant à savoir si le monument peut être transformé ou non en mosquée, l'effet de la controverse ne durera qu'un temps ; la population sera bientôt de nouveau confrontée aux dures réalités économiques, à savoir que le contrecoup de ces deux dernières années l'a rendue plus pauvre. ... Sur 1 537 personnes interrogées dans l'étude Turkey Report réalisée par l'institut Istanbul Economy Research, 40 pour cent d'entre elles ont cité l'économie comme leur source d'inquiétude principale, 19 pour cent la question de l'emploi.»