Mer Noire : quelle est l'ampleur des gisements de gaz ?

Le président turc, Tayyip Erdoğan, a annoncé vendredi la découverte d'un gisement de 320 milliards de m3 de gaz en mer Noire. Le cours de la lire, qui avait bondi avant l'annonce, a replongé ensuite - probablement car l'ampleur des ressources est plus limitée que prévu, et ne couvrira les besoins du pays que pendant huit ans. Le scepticisme des critiques et de la population suite à cette annonce interpelle les chroniqueurs.

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Akşam (TR) /

Les détracteurs d'Erdoğan ne sont que des rabat-joies

Les experts et les citoyens turcs qui critiquent cette découverte le font par pure malice, vitupère Akşam :

«Leur but est de salir cette heureuse nouvelle ! Voilà pourquoi ils s'excitent autant. Il s'agit d'une découverte qui mènera à l'indépendance énergétique de la Turquie. Mais aussi d'un premier grand succès et d'une étape très importante. Elle se produit par ailleurs à un moment où les grandes entreprises énergétiques ont suspendu leurs activités de sondage en mer en raison de la pandémie. Nous sommes en passe de devenir une puissance mondiale dans le secteur de l'énergie. C'est cela, visiblement, qui les dérange autant.»

Artı Gerçek (TR) /

D'autres chats à fouetter

La population n'est pas très réceptive à l'euphorie du gouvernement, souligne Artı Gerçek :

«Les citoyens se désintéressent globalement de cette découverte, d'autant qu'ils ignorent quand l'extraction commencera et si celle-ci leur procurera un quelconque avantage. Pour l'heure, ils tentent de joindre les deux bouts, et ils combattent avec une inquiétude grandissante - en raison notamment de la pandémie de coronavirus. Voilà pourquoi ils ne sont pas très sensibles à ces nouvelles, annoncées en grande pompe ; ils ont pleinement conscience des intentions politiques en jeu. Elles n'ont donc pas eu l'effet escompté pour le gouvernement.»

Phileleftheros (CY) /

Un record irréaliste

Les nouvelles délivrées par Ankara suscitent la perplexité de Phileleftheros :

«Comment est-il possible de réaliser un forage à 2 500 mètres de profondeur en 30 jours ? Les forages ont commencé le 20 juillet et l'annonce de la découverte d'un vaste gisement a été faite le 21 août. ... En général, sept jours supplémentaires de sondages sont nécessaires sur place lors de telles découvertes ; le [navire de recherche] Fatih a donc dû battre un record mondial en matière de vitesse de forage. Lors des sondages en Méditerranée (les recherches illégales réalisées dans la ZEE chypriote), il avait fallu, avec la même foreuse, le même équipage et un ordre de grandeur similaire, 70 à 90 jours pour achever les forages. Comment, dans le cas présent, cela a-t-il donc été possible en 20 à 25 jours ?»

Hürriyet Daily News (TR) /

Un filon ?

La politique énergétique dans la région pourrait changer du tout au tout, commente Hürriyet Daily News :

«La découverte par la Turquie d'un gisement de gaz naturel en mer Noire pourrait nourrir de nouveaux projets ambitieux, afin de trouver d'autres réserves dans la même région, susceptibles d'appâter les sociétés internationales et leurs investissements. Couvrir les besoins énergétique du pays restera la grande priorité, mais potentiellement, la Turquie pourrait devenir un nouveau fournisseur, notamment pour les marchés européens. Ces conjectures paraîtront peut-être prématurées, sachant que nous ignorons encore presque tout de ces gisements. Mais la perspective nous autorise à songer aux conséquences que cette découverte peut avoir sur la géopolitique énergétique dans la région.»

Handelsblatt (DE) /

Davantage de marge de manoeuvre pour Ankara

Ozan Demircan, correspondant de Handelsblatt en Turquie, évoque la portée géopolitique de cette annonce :

«La Turquie deviendra indépendante pour quelques années du gaz coûteux en provenance de Russie. A une époque où Moscou et Ankara rivalisent au plan géopolitique, c'est une nouvelle importante. Qu'il s'agisse de la Syrie, de la Libye ou de la production et de l'exportation d'armes, cette découverte donne plus de marge de manœuvre à Ankara dans les négociations avec Moscou. A l'inverse, elle pourrait rapprocher les Etats-Unis et la Turquie, partenaires de l'OTAN, après plusieurs conflits. En Méditerranée, où la Turquie effectue des sondages gaziers, contre la volonté de la Grèce et de l'UE, Ankara pourrait avoir trouvé un nouvel allié. Pour l'UE, cela signifie que la Turquie a amélioré sa position dans les négociations.»

Iswestija (RU) /

Rien de tangible pour l'instant

Ankara n'a donné aucune indication quant au rendement potentiel de ce gisement gazier, souligne l'expert énergétique Alexander Frolov dans Izvestia :

«On peut considérer le volume évoqué comme une donnée provisoire, amenée à être inévitablement précisée. On ignore également s'il s'agit des quantités qui peuvent être exploitées - c'est-à-dire pas seulement du gaz qui peut être extrait techniquement parlant, mais aussi de celui dont l'extraction est rentable d'un point de vue économique. L'ampleur d'un gisement est une chose, la question de savoir combien de gaz on peut en extraire sans tenir compte des coûts une autre. La troisième chose, c'est de voir combien de gaz on peut extraire sans faire faillite. D'ici à ce que la décision d'investir soit prise, la route est encore longue. L'annonce du gouvernement turc, qui projette d'approvisionner sa population en gaz de la mer Noire d'ici 2023, est aussi irréaliste qu'évasive.»