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Libération
Éditorial

Déchirure

par Laurent Joffrin
publié le 28 août 2018 à 20h46

Peut-on être à la fois probusiness et proplanète ? C’est la question de fond posée par la démission radiophonique de Nicolas Hulot, ministre écologiste qui avait le sentiment de s’être changé en simple plante verte du gouvernement Philippe. A l’origine, un incident d’apparence mineure, la présence d’un lobbyiste des chasseurs dans une réunion élyséenne, débouche sur un réquisitoire féroce : la macronie, dit Hulot, est minée par les lobbys économiques, dont l’influence pernicieuse défait systématiquement, telle la tapisserie de Pénélope, l’ouvrage qu’il tente de tisser jour après jour. C’est un fait que les intérêts privés, largement représentés au gouvernement, ont plusieurs fois annulé ou édulcoré les projets poussés par le ministre de la Transition écologique. Mais l’affaire est plus large : entre Hulot et ses collègues, le fossé est philosophique. Et cette fois, le grand écart du «en même temps» provoque la déchirure. Les enjeux environnementaux sont désormais si pressants, si divers, si «totalisants», ils impliquent l’industrie, la ville, l’alimentation, l’énergie, les transports et, au bout du compte, l’avenir de l’humanité. Ils ne peuvent être pris en charge par un seul ministre, aussi talentueux soit-il. Un ministère vert ne suffit pas : c’est tout le gouvernement qui doit verdir. Or il ne saurait le faire en se réclamant du libéralisme. Pour limiter le changement climatique, pour assainir les aliments, pour réguler les transports, pousser la révolution énergétique, ménager la planète, il faut reprendre la maîtrise de l’économie et de la finance. Le vaste lobby des entreprises ne cesse de peser à l’inverse, fustigeant les normes, les règlements, l’intervention publique, la fiscalité incitative. On dit que l’écologie est neutre, qu’elle s’impose à tous les partis. C’est une vaste blague. Elle implique au contraire la conduite collective du développement, la coordination intime du privé et du public. Par nature, la lutte pour la nature est socialisante. Le macronisme cherche à concilier laisser-faire et écologie. C’est un oxymore politique, une faille philosophique. Hulot est tombé dedans.

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