Éditorial

Boomerang

par Laurent Joffrin
publié le 7 décembre 2018 à 21h06

La violence ? Insupportable, antirépublicaine, suicidaire. Insupportable sur le plan humain d’abord. Ceux qui iront à Paris dans l’espoir de casser du flic, de mimer l’insurrection populaire, de jouer le jeu cruel et stupide de la guérilla urbaine, voire du pillage pur et simple, porteront une criminelle responsabilité, si par malheur il y avait blessures graves, mort d’hommes ou de femmes. Violence antirépublicaine ensuite. Autant la manifestation - droit fondamental en démocratie - est légitime, autant les attroupements non négociés, sauvages, agressifs, sont contraires à toute logique démocratique, perpétrés par des minorités activistes qui poursuivent des buts étrangers au mouvement, animées par le rêve pervers du désordre soi-disant accoucheur d’histoire. Une négociation gouvernement-syndicats-patronat pourrait s’ouvrir. Il est possible qu’elle aboutisse à des avancées appréciables en matière de pouvoir d’achat. La morale républicaine élémentaire commande de s’y associer, d’y défendre ses revendications, quitte à la dénoncer ensuite si aucune concession n’est accordée. Violence suicidaire enfin. Croit-on que le mouvement des gilets jaunes gardera sa popularité initiale s’il a pour effet d’effrayer la population, de transformer chaque week-end la capitale en ville morte, d’entraîner le déploiement d’un dispositif policier inédit qui évoque les mesures de temps de guerre ? Le gouvernement porte une responsabilité écrasante dans cet engrenage par sa raideur, sa lenteur, son incompréhension. Le Président reçoit comme un boomerang ses saillies méprisantes ou désinvoltes, adressées à des couches populaires qui supportent le poids principal des sacrifices de temps de crise économique. Il en paiera le prix politique. Mais il peut aussi se saisir de l’occasion pour jouer la partition de l’ordre, pour discréditer les demandes des protestataires, pour s’ériger en rempart de la propriété et de la sécurité, appuyé sur des mesures autoritaires d’exception. Déjà, l’incapacité du mouvement à désigner des délégués laisse le champ libre à des porte-parole de rencontre, dont certains mélangent des exigences sociales compréhensibles avec des discours complotistes, irresponsables, xénophobes parfois, qui colorent de brun le jaune de la protestation populaire. Le démocratisme finit par devenir antidémocratique, en favorisant les outrances et les manipulations, en laissant les protestataires sans représentation au moment où il s’agit justement d’obtenir satisfaction. Que la manifestation de ce samedi débouche sur un deuxième samedi noir, au lieu d’un défilé pacifique et déterminé, seule arme légitime dans un Etat de droit, et c’en est probablement fait des espérances démocratiques de ce mouvement populaire.

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