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«Le Black Friday révèle les dilemmes et les contradictions de notre système économique»

AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour Jérôme Batout et Geoffroy Daignes, le succès du Black Friday et l’indignation écologique qu’il suscite révèlent une société de consommation fragmentée. La préoccupation environnementale est nécessaire, mais c’est un luxe que seules les catégories les plus aisées peuvent se permettre.


Jérôme Batout est économiste et docteur en philosophie.

Geoffroy Daignes, consultant en affaires publiques, contribue occasionnellement à la revue Le Débat.


2019, on le pressent, restera l’année de l’accélération brutale de la préoccupation environnementale. Le Black Friday arrive à point nommé pour rendre visible à l’échelle d’un seul jour les dilemmes et les contradictions de notre système économique et politique.

Cinquante millions, c’est le record du nombre de transactions bancaires réalisé en une journée en France. Ce chiffre a été enregistré lors de l’édition 2018 du Black Friday et il y a de bonnes raisons de penser qu’il sera battu cette année. D’autant que l’événement tend à se généraliser aux commerces physiques et à s’étendre sur plusieurs jours jusqu’au Cyber Monday.

Le phénomène s’est mondialisé par Amazon, le plus grand commerçant du monde.

Récent ailleurs, le phénomène est déjà ancien aux États-Unis. Il a pris son essor dès les années 60. Il désigne le vendredi, lendemain de Thanksgiving et lance la période des courses de Noël pour des millions d’Américains. Il est la marque d’une certaine époque, où le principe d’une journée de fête et d’hyper-consommation ne posait aucun problème de principe à l’essentiel de la population. Cela l’est resté jusqu’à aujourd’hui — ou presque.

Car c’est au moment où le Black Friday achève de se mondialiser que surgissent des doutes assez sérieux sur la justesse de son existence. La mondialisation du Black Friday était une opportunité commerciale évidente à susciter, pour les marques américaines présentes au sein des principales économies mondiales. Le phénomène s’est mondialisé par Amazon, le plus grand commerçant du monde. L’entreprise de Jeff Bezos a été capable d’imposer en dehors des États-Unis un événement jusqu’alors absent du paysage. Elle en profite largement puisque le Black Friday 2017 a été à l’origine d’une hausse conséquente de son cours de bourse qui permit le lendemain à Jeff Bezos de franchir la barre symbolique des 100 milliards de fortune personnelle.

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Parallèlement à la mondialisation du Black Friday, une autre couleur s’invite dans cette journée: le vert. Tout au long de l’année, on le sent confusément, la contradiction se fait de plus en plus pressante entre notre besoin de croissance et notre désir d’un monde pérenne. Mais, rarement, cette contradiction nous saute au visage de manière aussi saisissante et sur une unité de temps aussi brève que lors du Black Friday. Le Black Friday agit en révélateur utile mais impitoyable de nos contradictions: journée mondiale de consommation, facteur de croissance économique, de pouvoir d’achat, mais aussi jour record des émissions de CO2 et de production de déchets.

Les plus riches ont la possibilité de se priver facilement de ces promotions. Ils peuvent adopter une posture de soutien envers la planète.

Un autre clivage, non moins important, s’invite dans cette journée. Celui qui oppose les riches et les pauvres. C’est qu’à voir les classes moyennes et populaires mondiales se jeter sur les promotions, on pourrait en conclure que l’hyperconsommation est le fait des plus modestes, et partant, le changement climatique qui s’ensuit. Or les super promotions du Black Friday s’adressent en premier lieu à une population qui a besoin de soldes pour maintenir son pouvoir d’achat. Certains n’ont pas vraiment d’autre choix que d’attendre pour acheter ce jour-là.

Les plus riches ont la possibilité de se priver facilement de ces promotions. Ils peuvent dans la foulée adopter une posture de soutien envers la planète et de dégoût envers la surconsommation. Ne les critiquons pas — chacun fait comme il peut avec les valeurs dominantes. C’est ainsi que l’on voit fleurir sur Instagram ces derniers jours des publications, comme celles d’Horace, marque de cosmétique, indiquant fermement que sa boutique et son site marchand seront fermés pour le Black Friday, «journée sacrifiée à l’hyperconsommation», comme il est indiqué.

La vérité est que le monde est plus complexe que l’image de riches clients responsables pratiquant l’abstinence du Black Friday tout en s’adonnant aux soldes privées, superposée à celle de clients d’hypermarchés éclatant en émeutes pour obtenir des pots de Nutella discountés — scène qui eut lieu en 2018, en France.

Il faudra encore un peu de temps pour savoir si elle était un symptôme de l’hyperconsommation déclinante, ou la conséquence de l’anémie croissante du pouvoir d’achat des classes moyennes.

«Le Black Friday révèle les dilemmes et les contradictions de notre système économique»

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56 commentaires
  • Squall Leonhart

    le

    Interdire une journée de promotions et tout aussi bête que le concept de Black Friday. So consommer est un problème, quelle logique a l'autoriser certains jours. Et qui peut prétendre connaître la "bonne dose" de consommation pour chaque français ?

  • xiao baozhi

    le

    Je ne suis pas d’accord avec cet article même si je l’ai trouvé très intéressant. Je n’ai pas l’impression que la coupure entre les 2 France est aussi nette et aussi claire. Un exemple: j’achète des fruits et légumes plutôt bios et pour ma terrasse je n’utilise pas de produits qui pourraient faire du mal aux abeilles ou à mon chat. Je suis plutôt respectueuse de la nature. Mais depuis que Greta est sorti de nulle part, il m’est totalement impossible de prendre l’écologie et les écologistes au sérieux. Et je ne suis pas la seule à avoir compris qu’on se fiche de nous avec cette gamine, (et là j’élargis) avec le réchauffement global, avec les voitures électriques , etc. Nos politiciens ou média progressistes ont des listes de trucs que nous devons rejeter. Ça peut être des personnes, journalistes, académiciens, entreprises Amazon notamment), des journaux, des artistes Et là si nous rejetons la bonne liste, si nous haïssons la personne juste nous ne sommes pas des « haters ». Les clivages ne sont pas des clivages spontanés. Être écologiste c’est un comportement positionnel. Mais un comportement positionnel ne veut pas dire que la position vécue/imaginée correspond à un revenu réel. Ça peut être des personnes simplement endoctrinées qui suivent. Maintenant quant aux soldes, je trouve votre position euh un peu condescendante, mais c’est peut-être une position masculine. Vous avez une position non-neutre dans cet article, les gens qui font les soldes potentiellement féroces

  • ClémR

    le

    Ce machin, venu tout droit des States, est conçu pour les radins et les dépressifs qui croient compenser leur mal-être par une consommation irrépressible et, très souvent, inutile.
    . Lamentable qu’on en fasse tant de pub en France !

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