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Libération
édito

Suspicion

par Laurent Joffrin
publié le 26 février 2020 à 20h51

La pandémie est déjà là. Celle du coronavirus ? Pas encore, selon l'OMS. Non : la pandémie de fausses nouvelles. Depuis l'irruption du mal en Chine, les réseaux - qui, en l'occurrence, n'y peuvent pas grand-chose - ont véhiculé un nombre colossal de fake news : des malades imaginaires (il y en a suffisamment de vrais pour s'épargner l'outrance), des faux médicaments, des fausses prescriptions, des fausses origines pour le virus, des propositions extrêmes et désavouées par la communauté médicale, etc. Paranoïa, complotisme, hypothèses farfelues, les maux habituels de la rumeur numérique sont démultipliés par l'angoisse, même si celle-ci est compréhensible. Panique habituelle des opinions publiques face à un fléau inattendu ? Pas seulement.

Le phénomène est politique. C’est la défiance endémique envers les autorités démocratiques qui sévit, sur fond de rejet des élites, de suspicion sur le savoir, de discrédit des responsables politiques. Certes, les scandales sanitaires existent, on en a expérimenté plusieurs en France, entre vache folle, sang contaminé et Mediator. Mais à chaque fois, on trouve derrière ces affaires des intérêts bien déterminés, le plus souvent sonnants et trébuchants. Cette fois-ci, pourquoi douter par principe de la bonne foi des autorités, qui n’ont aucun intérêt à tromper le public ou à minimiser les dangers, d’autant qu’elles s’appuient sur les avis de la communauté scientifique ? En fait, ce ne sont pas les démocraties qu’il faut soupçonner : elles vivent sous l’œil inquisiteur des médias et du public qui peut s’exprimer librement. C’est une dictature comme la Chine qu’il faut mettre en cause, où le mensonge d’Etat a fait florès, retardant la nécessaire prise de conscience. C’est une leçon longuement éprouvée que le poujadisme planétaire tend à nier : les sociétés ouvertes sont plus sûres que les régimes autoritaires.

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