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Déshumanisation virtuelle

Entre annulations, reports et basculements vers le numérique, le monde de la culture est en train de se dématérialiser. Après cinq semaines de confinement, le manque d’émotions collectives se fait cruellement ressentir

Cannes, mars 2020. Dans moins d’un mois, les marches du Palais des festivals auraient dû être recouvertes du traditionnel tapis rouge.   — © Eric Gaillard / Reuters
Cannes, mars 2020. Dans moins d’un mois, les marches du Palais des festivals auraient dû être recouvertes du traditionnel tapis rouge.   — © Eric Gaillard / Reuters

Une cérémonie virtuelle pour lancer une 51e édition ayant comme hôte d’honneur un certain 19, Covid de son prénom. Le festival Visions du Réel a décidé de diffuser en ligne l’essentiel de sa programmation, et c’est logique. Dévolue au documentaire de création, la manifestation défend des œuvres peu vues en dehors du circuit des festivals. Leur offrir une visibilité était nécessaire. A l’inverse, les organisateurs du Festival de Cannes affirment que passer des grands aux petits écrans est inimaginable. Ils ont raison: dévoiler des films qui comptent parmi les plus attendus de l’année à venir sur des plateformes en ligne irait à l’encontre du cinéma tel qu’il le défend.

Du côté de Locarno, on dit pour l’heure «identifier la solution la mieux adaptée au contexte actuel». Mais là aussi, une solution virtuelle semble peu probable, tant le rendez-vous tessinois est celui des rencontres et des échanges – pour les professionnels, le grand public et aussi les politiques, qui ont pris pour habitude d’orchestrer leur rentrée sur les bords du lac Majeur. Et qui des festivals de musique? Même si tous n’ont pas encore jeté l’éponge, on sait que l’été ressemblera à une longue traversée du désert.

Mélancolie diffuse

Comme les milieux culturels ont de belles idées à défaut d’avoir de gros moyens, on observe depuis le début du confinement un basculement de l’offre vers les supports numériques. Mais passé l’excitation première, on a vite vu les limites de l’exercice. Franchement, qui a envie de se contenter de films en streaming, de concerts diffusés en direct depuis une salle vide, de visites muséales où s’approcher d’une œuvre consiste à taper «cmd +» sur son clavier?

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A l’heure où les acteurs culturels réfléchissent à la manière de renouveler leur public et de générer de nouveaux revenus, les nouvelles technologies sont parfois vues comme un eldorado. A l’avenir, à travers un casque de réalité virtuelle, il sera facile d’assister depuis son canapé à un concert ou à une pièce de théâtre, de flâner dans une expo. Or, depuis le début du confinement, on a tous fait l’expérience d’une proposition virtuelle qui nous a d’abord séduits avant de laisser place à une mélancolie diffuse. Ce qui nous rappelle que, depuis le théâtre grec antique, la culture est une affaire d’émotion collective.

Le monde d’après la pandémie devra, plus encore que celui d’avant, être axé sur l’écologie. Il faudrait aussi qu’il soit humain avant d’être virtuel. Lorsqu’il s’agira de dresser un bilan des dommages collatéraux causés par le virus, il serait tragique que les plus fragiles des festivals et des lieux de culture, ceux qui sont ancrés dans le tissu social d’une région et ne rêvent pas de paradis artificiels, soient les plus menacés.

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