Tribune. Nous sommes entrés dans l’ère de la santé publique, mais la surprise qui nous frappe aujourd’hui, c’est que ce soit dans de telles tensions, bientôt peut-être avec une réelle violence. On devrait se réjouir que les Etats mettent enfin la santé de tous au premier plan, et dans tous les domaines de la vie. Mais non. On en a peur. Et ce ne sont pas seulement certains dictateurs réels qui agitent, cyniquement, le spectre d’une dictature de la santé ! C’est le cas de certains intellectuels, et pas seulement des agitateurs de soupçon, mais des philosophes tel André Comte-Sponville. Or, même si ce n’est pas facile, nous savons concilier santé et liberté, nous avons l’expérience de la bioéthique, de ses cadres, de ses débats, aussi tendus soient-ils ! Pourquoi la santé publique fait-elle peur ?
La raison en est profonde et ce n’est pas seulement le coup de force de la pandémie de Covid-19. Certes, entrer dans la santé publique sous le signe de ce virus si transmissible et sans traitement encore, du confinement, du masque, cela n’aide pas. Mais cela ne suffit pas à expliquer les peurs.
Des contradictions structurelles qu’il faut affronter
Non. Ce que la pandémie et le confinement mettent au jour, c’est que la santé publique comporte de vraies tensions intimes, des contradictions structurelles, qu’il faut affronter. Ce sont celles de la bioéthique. Mais avec quelque chose de plus et de différent. Car la santé publique, c’est la bioéthique, avec un tour d’écrou supplémentaire. Il faut dire ce que la bioéthique et la santé publique ont de commun, et de différent, si l’on veut répondre à ceux qui s’inquiètent vraiment. Car ils ont raison : la santé publique sera éthique, ou ne sera pas !
Quelle est d’abord l’analogie entre les deux ? Il y a d’un côté la santé, la lutte contre la maladie et la mort. Mais de l’autre côté, la dignité, la liberté, l’égalité des humains. Les débats bioéthiques, par exemple sur la « fin de vie », que sont-ils sinon l’expression d’une telle tension ? Faut-il condamner la médecine de vouloir traiter et soigner jusqu’au bout ? Faut-il empêcher les humains, les citoyens, de vouloir que ce soit avec leur consentement ou leur refus éventuel ? Tous les sujets de bioéthique reposent sur cette contradiction. Et les plus profonds des critiques du confinement le savent bien. Ainsi André Comte-Sponville critique l’ordre sanitaire dans la pandémie, mais il revendique aussi le libre choix en fin de vie.
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