Billet de blog 3 novembre 2021

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Albin Wagener

Enseignant-chercheur en analyse de discours et communication

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COP 26 : le bal des bourreaux

Souvent décrite comme la rencontre de la dernière chance pour tenter de freiner la course folle du dérèglement climatique, l’organisation et le déroulement de la COP 26 semble davantage reposer sur le cynisme que le volontarisme.

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© Paul Ellis/Pool Photo via AP

Alors que la COP 26 a démarré à Glasgow sous l’œil acéré du GIEC et des associations militantes, on est en droit de se poser la question de la manière dont cette conférence, pourtant cruciale, se retrouve une fois de plus sous la coupe de leaders qui, derrière de beaux discours concernés, semblent déterminés à poursuivre un politique radicalement écocidaire. On retiendra notamment le triste symbole de la photo de famille du G20, réuni juste avant la COP 26 à Rome, devant la célèbre Fontaine de Trévi, dont les leaders se risquent à un sinistre jet de piécette – une symbolique qui illustre, si cela était encore nécessaire, la manière dont les chefs d’Etat pilotent à l’aveuglette la politique climatique mondiale.

Evidemment on retient aussi, alors que l’on est seulement au tout début de cette COP, quelques tristes anecdotes : les petites siestes de Joe Biden et de Boris Johnson (respectivement président des Etats-Unis et premier ministre de Grande Bretagne), le honteux fiasco de l’arrivée de la ministre israélienne de l’énergie Karin Elharar, privée de COP dans un premier temps (en raison d’une organisation visiblement inadaptée aux personnes en situation de handicap), ou encore l’hypocrisie d’un Emmanuel Macron qui déclame de grands discours écologiques tout en faisant la promotion du gaz fossile (et tout faisant, une fois de plus, des lapsus qui trahissent son désintérêt des questions écologiques).

Outre ces hoquets politiques, il est capital de dire à quel point les « petites » délégations (traduisez : les pays les plus touchés par la crise climatique mais les plus désarmés pour prendre des décisions mondiales) ont eu des difficultés considérables à accéder au sommet de Glasgow, tout comme les ONG, associations et fondations de lutte contre le dérèglement climatique, provoquant même des excuses contrites de l’ONU. Pendant ce temps, certaines personnalités particulièrement controversées, comme Jeff Bezos, accédaient sans difficulté à la COP 26 (en jet privé, cela va sans dire), tout en donnant des discours qui sonnent faux, tant leurs actes sont aux antipodes des décisions à prendre pour maintenir la planète sous les 1,5°C. Ou 2°C. Ou 2,5°C : on ne sait plus très bien, tant les décisions politiques sont loin de l’urgence. Et tant les comportements, comme ceux d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, sont loin d’être exemplaires.

Dans ce contexte, difficile de nourrir des espoirs face à ce qui pourrait sortir de la COP 26 – même si des annonces ont déjà été faites du côté de la déforestation (annoncée comme étant stoppée en 2030) ou de la sortie des énergies fossiles de certains pays, comme l’Inde… même si la date est si lointaine (2070 !) que cela ne peut susciter qu’un affligeant désespoir. Et à mon avis, si le doute est permis face à ces annonces, cette organisation discutable ou le comportement suspect de politiques dont la planète semble être un sujet souvent anecdotique, c’est parce que les personnes les plus coupables concentrent les moyens les plus importants.

En d’autres termes, la majorité des décideurs présents à la COP 26 sont aussi les plus gros bourreaux de la planète – tout en étant ceux les plus à même de diminuer les effets catastrophiques du changement climatique. C’est l’un des effets pervers et évidents du capitalisme néolibéral : celles et ceux qui ont le plus de pouvoir pour arrêter les situations inégalitaires ou dramatiques sont aussi celles et ceux qui auraient le moins d’intérêt à le faire (financier, à tout le moins). Dans ce sens, cette COP (comme tous les autres sommets mondiaux du genre) s’apparente davantage à un bal des bourreaux.

Imaginez que l’on transpose la même situation dans un autre domaine. Imaginez, par exemple, que l’on organise une conférence sur les violences faites aux femmes, et que l’on invite, pour l’animer, des criminels condamnés, multirécidivistes et aux comportements absolument innommables. Imaginez que l’on invite les plus atroces d’entre eux pour expliquer au monde entier comment tenter de diminuer ces violences – un peu comme Jeff Bezos pour l’environnement. Imaginez que les hommes politiques qui feraient les discours les plus engagés seraient connus, dans le même temps, comme de véritables harceleurs – un peu comme Emmanuel Macron, condamné par son propre Conseil d’Etat pour son inaction climatique. Normalement, cela provoquerait d’énormes remous, et la situation serait considérée comme insupportable – à juste titre.

Pourtant, lorsqu’il s’agit de la planète, il n’en est rien. Ses tortionnaires les plus appliqués pérorent comme si leur parole seule suffisait à résoudre tous les problèmes, tandis que les premiers pays victimes du changement climatique et les associations militantes se retrouvent relégué.e.s au rang de faire-valoir ou de personnages secondaires. C’est à la fois cynique et inadmissible, alors qu’une organisation démocratique de ce type de sommet pourrait permettre, et tout le monde en est parfaitement conscient, de proposer des votes démocratiques ouverts et équilibrés pour prendre, porter et assumer des résolutions qui permettraient d’engager durablement tous les pays de la planète, ainsi que les organisations qui auraient les moyens de superviser et coordonner d’ambitieuses politiques climatiques.

La planète est violentée, pour ne pas dire pire. Toutes les espèces en payent les conséquences. Nos sociétés les plus démunies en payent déjà le prix. Mais au chevet de notre monde et de sa biodiversité, nous choisissons d’inviter les empoisonneurs, les oppresseurs et les tyrans afin de se pencher sur sa santé ; un comportement toxique qui en dit plus qu’assez sur la manière dont l’idéologie de nos systèmes politiques et économiques structure le monde, avec ses inégalités, ses discriminations, ses injustices et ses crimes.

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