Tribune 

Une simple « communauté politique » avec l’UE ne suffit pas : il faut avancer sur l’adhésion de l’Ukraine

Piotr Buras

ECFR, Varsovie

Si l’UE veut être à la hauteur de sa responsabilité géopolitique avec son voisinage, elle devrait investir davantage dans le processus d’élargissement plutôt que de multiplier les formats de sommets, estime Piotr Buras, du think tank ECFR, dans une tribune à « l’Obs ».

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Piotr Buras est le chef du bureau de Varsovie de l’ECFR (European Council on Foreign Relations), un think tank reconnu internationalement, et coauteur de « Survivre et prospérer : Un plan européen de soutien à l’Ukraine dans la longue guerre contre la Russie ».

L’idée d’une Communauté politique européenne a été émise par Emmanuel Macron en mai dernier. Le président français veut créer une « plateforme politique de coordination » entre des pays de l’Union européenne et leurs voisins. Selon lui, c’est la « bonne réponse » pour « stabiliser le voisinage » dans le contexte de la guerre en Ukraine, au cours de laquelle ce pays et la Moldavie ont reçu le statut de candidat à l’UE. L’objectif est de donner aux pays candidats un sentiment d’appartenance au club européen avant leur adhésion formelle.

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Un sommet informel des dirigeants s’appuyant sur l’initiative de Macron se tient ce jeudi 6 octobre à Prague, la République tchèque assurant actuellement la présidence de l’UE. Quarante-quatre Etats ont été invités par l’UE, parmi lesquels figurent le Royaume-Uni, Israël, la Turquie et les pays candidats à l’UE. Les objections initiales à l’initiative de Macron, considérée par beaucoup comme une énième tentative de ralentir les futures adhésions à l’UE, ont en grande partie disparu. Mais la barre des ambitions semble toujours être placée assez bas. Selon un diplomate de Prague, le sommet devrait envoyer un « signal positif dans cette situation tumultueuse ». Cela vaut certainement un effort. Toutefois, si l’UE veut être à la hauteur de sa responsabilité géopolitique avec son voisinage, elle devrait investir davantage dans le processus d’élargissement plutôt que de développer de nouveaux formats de sommets.

L’octroi du statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie, en juin dernier, était sans aucun doute une décision historique. Elle donne non seulement de l’espoir aux citoyens de ces pays dans un contexte d’inquiétude quant à leur sécurité et leur stabilité, mais elle signale également à la Russie que l’UE ne cédera pas face au comportement irresponsable de Poutine. Cette décision est tout aussi importante que lorsque l’UE a surmonté l’impasse dans les Balkans l’été dernier en ouvrant la voie aux négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine. Pendant bien trop longtemps, l’UE a traîné les pieds sur l’élargissement de l’Union et sapé la confiance des Etats candidats pour intégrer l’Europe.

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Il est dans l’intérêt de l’UE de faire du processus d’élargissement un succès. Et l’engagement en faveur de l’Ukraine – par le biais d’une aide financière, d’une offre d’intégration et d’un soutien militaire – pourrait devenir le meilleur vecteur pour y parvenir. Il n’y a pas de meilleure façon de garantir que ces efforts soient durables et efficaces que de les intégrer dans une stratégie bien définie pour accueillir l’Ukraine dans l’UE. Les autres pays candidats ne pourraient que bénéficier d’un réengagement de l’UE envers ce qui a historiquement été son instrument le plus efficace : apporter la paix et la stabilité en Europe. Il ne peut évidemment pas y avoir de raccourcis sur le chemin de la candidature à l’UE, mais l’Union aurait tout intérêt à faciliter le processus et à éviter de plonger le continent dans un nouveau malaise.

Un simple « espace de coworking » ?

Il n’est toutefois pas certain que la Communauté politique européenne puisse garantir cela. La participation de pays comme le Royaume-Uni ou Israël en fait un format qui, par définition, ne serait pas enclin à traiter de l’élargissement de l’UE. Le sommet de Prague devrait principalement reconfirmer les principes d’Helsinki de 1975, notamment l’intégrité territoriale et le respect de la souveraineté de tous les pays. Conformément aux préférences françaises, il se concentrera sur la sécurité et les défis géopolitiques de l’Europe. La nouvelle communauté, qui pourrait se réunir une ou deux fois par an, pourrait ainsi ressembler à une OSCE 2.0, c’est-à-dire un groupe de pays partageant les mêmes idées et unis dans leur rejet de la politique destructive de la Russie.

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Si un tel cadre peut permettre aux pays candidats d’accéder à un forum stratégique de haut niveau, il est peu probable qu’il concrétise leur processus d’intégration. Ce sera un « espace de coworking pour les dirigeants européens », comme l’a dit un haut fonctionnaire de la Commission européenne, alors que les questions clés restent sans réponse : comment cela peut-il donner une perspective crédible à moyen terme et des avantages tangibles aux pays candidats, supprimer les obstacles institutionnels à l’adhésion et mieux les intégrer à l’UE avant qu’ils ne rejoignent le bloc ? L’un des principaux défis de l’UE au cours de la prochaine décennie et au-delà ne sera pas la réforme de ses institutions pour se préparer à l’absorption de nouveaux membres, mais la manière de maintenir l’orientation pro-européenne de leurs voisins sans pouvoir ou vouloir les accepter de sitôt comme membres du club à part entière.

Pour répondre à ce besoin fondamental et « stabiliser le voisinage », comme l’a dit Macron, l’UE devra faire bien plus qu’établir une nouvelle conférence des chefs d’Etat. Elle devra proposer une vision à long terme de leur intégration à l’Europe, y compris le plein accès aux quatre libertés de l’UE (libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes) dès qu’ils auront rempli les critères. Cette offre comprendrait non seulement une aide importante pour préparer l’adhésion à l’UE sur le long terme, mais aussi l’accès aux fonds de cohésion s’ils rejoignent le marché unique avant de devenir membres à part entière de l’UE. Il sera également nécessaire d’aider ces pays à s’intégrer plus étroitement aux infrastructures énergétiques de l’UE afin de respecter leurs obligations internationales en matière de climat. En commençant par l’Ukraine et la Moldavie, l’UE devrait également proposer aux pays voisins un pacte de sécurité assorti d’engagements concrets pour renforcer leurs capacités d’autodéfense, offrir une assistance militaire et des consultations stratégiques régulières, et améliorer la cybersécurité et la coopération en matière d’infrastructures stratégiques.

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Nous vivons une époque tumultueuse, et les dirigeants de l’UE devraient faire tout leur possible pour envoyer un signal positif lors du sommet de Prague. Mais sans plus d’efforts pour injecter de la crédibilité et de l’énergie dans le processus d’élargissement, la Communauté politique européenne ne sera rien de plus qu’une feuille de vigne pour couvrir les difficultés géopolitiques de l’UE.

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