L’enjeu de la bataille de Bakhmut : symbolique ou stratégique ?

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Russes et Ukrainiens se disputent, au prix humain le plus fort, le sort de la ville détruite de Bakhmout. Une bataille qui cache une guerre dans la guerre, entre miliciens de Wagner et état-major russe, et qui ne déterminera pas l’avenir de cette guerre.

Dans une guerre inscrite dans la durée comme celle qui se déroule en Ukraine, certaines batailles prennent une dimension considérable, au-delà de leur importance réelle dans le déroulé du conflit. La bataille en cours depuis des mois à Bakhmout, une ville aujourd’hui en ruines, dans l’est de l’Ukraine, est de celles-ci.

Sa capture annoncée comme prochaine par les Russes, et donc le retrait possible des défenseurs ukrainiens, ont pris une dimension symbolique plus que stratégique. Le prix pour prendre Bakhmout, comme celui qu’ont payé les Ukrainiens pour la défendre coûte que coûte, est immense ; et nul ne peut dire quel impact cette bataille aura réellement sur la suite de la guerre.

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Des dizaines, des centaines, peut-être des milliers d’hommes sont morts pour le contrôle de Bakhmout : on n’en connaîtra sans doute jamais le nombre exact, tenu secret de part et d’autre. Et la ville est totalement détruite, pas un bâtiment épargné.

Pourquoi cette ville a-t-elle pris cette importance ? Il y a deux guerres en une, car si la première oppose les défenseurs ukrainiens aux envahisseurs russes, la seconde est interne au camp russe : les miliciens de Wagner contre l’armée régulière, Prigojine, le patron de Wagner, contre Guerassimov, le chef d’état-major.

A Bakhmout, ce sont les hommes de Wagner qui sont en première ligne et meurent pour gagner quelques mètres. Un soldat ukrainien raconte dans The Guardian avoir vu sur des images de drones des piles de cadavres que passent les soldats de Wagner en avançant vers les lignes ukrainiennes.

Prigojine, le patron de Wagner, veut prouver son utilité dans les luttes d’influence à Moscou. Il diffuse des vidéos surprenantes, y compris une samedi soir dans laquelle il déclare que si Wagner doit évacuer Bakhmout, c’est tout le front russe qui s’écroule.

Cette déclaration est d’autant plus surprenante que les Russes affirment être sur le point d’encercler la ville. C’est implicitement confirmé par le fait que les défenseurs ukrainiens ont détruit les ponts de Bakhmout après avoir fait passer leur armement lourd.

Alors pourquoi Prigojine parle-t-il comme si la défaite était imminente ? Il se plaint de ne pas recevoir les munitions dont il a besoin, accusant implicitement le général Guerassimov d’en être responsable. Cette rivalité interne est inédite en temps de guerre, tout comme le silence du Kremlin.

L’Ukraine minimise par avance la chute éventuelle de Bakhmout, ce qui est tout de même contradictoire avec l’énergie mise à défendre la ville, et avec les pertes encourues. La Russie, elle, a besoin d’un succès et ne manquera pas d’en exagérer la portée, après ses nombreux échecs, y compris la défaite catastrophique de Vuhledar, dans le sud de l’Ukraine, il y a deux semaines.

Mais l’important n’est sans doute pas là. L’enjeu est celui des prochaines offensives dans les semaines et les mois qui viennent, jusqu’à la fin de l’été. Nous ne serons plus alors dans des batailles aux enjeux symboliques : il s’agira réellement de la capacité de l’un ou l’autre camp à enfoncer de manière décisive les lignes ennemies et d’inverser le rapport de force.

Nul ne sait d’où viendra la contre-offensive ukrainienne en préparation avec les armements reçus d’Occident ; mais il ne fait pas de doute qu’elle viendra. La guerre ne se décide pas à Bakhmout.

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