L’élargissement de l’Union doit conduire à la renforcer, pas à la diluer
Un édito d'Olivier le Bussy
- Publié le 04-10-2023 à 23h56
Sur au moins un point, la guerre d’agression de l’Ukraine par le Kremlin est un échec stratégique de dimension. La Russie voulait prendre le contrôle de son voisin pour étendre ce qu’elle considère comme son espace vital, et envoyer aux Occidentaux le message brutal qu’elle entendait renforcer son emprise sur le Vieux Continent, par la violence si nécessaire. Au final, la belliqueuse initiative de Moscou aura pour effet de raviver un feu qui, avant le 22 février 2022, menaçait de s’éteindre : le processus d’élargissement de l’Union européenne.
Circonstances obligent, les Vingt-sept ont estimé qu’ils ne pouvaient plus rester imperméables aux demandes de Kiev de rejoindre l’Union. Dans l’élan, ils ont pris conscience de la nécessité de relancer le processus d’adhésion des pays des Balkans occidentaux, en voie d’enlisement.
Le regain d’intérêt des Vingt-sept pour l’ouverture de leur club à de nouveaux membres doit peu à quelque conception romantique du projet d’intégration européenne. Il répond au pragmatique raisonnement suivant : si l’Union n’attire pas dans son orbite ses voisins du Vieux Continent qui le souhaitent, ce sont des rivaux systémiques, comme la Russie ou la Chine, qui y prendront pied, sans que les Vingt-sept, ni les populations des pays concernés s’en portent mieux. L’élargissement est, en ce sens, devenu un impératif pour l’UE.
L’opération n’en comporte pas moins un sérieux potentiel de déstabilisation. Il est question d’accueillir, à des échéances encore inconnues, sept pays qui accusent sur l’Union d’importants retards dans les domaines de l’économie, de la démocratie, de la justice, de la lutte contre la corruption… L’adhésion de l’un entre eux, l’Ukraine, pose des défis d’une ampleur inédite : on parle d’un pays violenté par la guerre, de 40 millions d’habitants, étendu sur un immense territoire voisin de l’hostile Russie.
Tout ces pays ont beaucoup à faire pour satisfaire aux critères d’adhésion. Mais l’Union européenne va elle aussi devoir effectuer un travail considérable sur elle-même pour être en mesure de les accueillir. Elle doit réformer ses institutions, afin qu’elles conservent leur capacité, déjà fragilisée, de prendre des décisions. Redéfinir ses priorités politiques. Se doter d’un budget à la hauteur des tâches qui lui incombent. Importe également, au premier chef, d’établir des mécanismes, autrement plus efficaces que ceux qui existent, qui assureront que plus aucun État membre ne piétinera impunément, ou presque, les principes de l’état de droit. Les cas polonais et hongrois doivent servir de leçon. La question du respect des valeurs qui fondent la construction européenne doit figurer au premier rang des préoccupations. Si l’Union perd cela de vue, alors l’élargissement n’a pas de sens. Durant les mois et les années à venir, il revient aux États membres et aux institutions européennes la tâche de prendre des décisions résolues, parfois difficiles, souvent laissées en suspens, pour compléter leur Union. S’ils échouent à prendre la mesure des enjeux, la conséquence de l’élargissement sera la dilution.