Les trésoreries des maisons de presse estoniennes sont toutes durement impactées par la crise du coronavirus, suite à une chute soudaine de leurs recettes publicitaires. Beaucoup d’éditeurs ont réagi en réduisant de jusqu’à 20 pour cent les salaires de leurs journalistes, quand ils ne les ont pas tout bonnement licenciés. La crise n’a toutefois pas que des effets néfastes sur les médias.
Estonie : sur fond de crise sanitaire, un paysage médiatique polarisé
Õhtuleht, premier quotidien estonien, tente un nouveau remède contre les propos haineux qui prolifèrent dans un climat de dissension sociale : depuis début mars 2020, seuls les lecteurs abonnés peuvent laisser des commentaires dans les forums en ligne. L’identification personnelle, notamment expérimentée par Postimees ou la radio-télévision publique ERR, ne semblent pas propres à dissuader les lecteurs de faire des commentaires haineux.
Les esprits critiques victimes d’insultes et de licenciements
Bien avant la crise sanitaire, l’entrée au gouvernement, en avril 2019, du parti d’extrême droite EKRE avait fortement polarisé la société estonienne - des tensions qui ont eu un impact sur les médias. Certains ministres n’avaient pas hésité à qualifier des journalistes d’« unités paramilitaires de l’opposition » et d’« activistes d’extrême-gauche ».
Sous l’ascendant de son très conservateur propriétaire Margus Linnamäe, Postimees, fleuron d’une des deux plus grandes maisons de presse du pays, est devenu la « publication phare des valeurs conservatrices » (Õhtuleht, 07.02.2020). Depuis le printemps 2019, des dizaines de journalistes à la plume libre ont été licenciés, quand ils n’ont pas eux-mêmes claqué la porte. Ce fut notamment le cas des équipes complètes des services opinions, économie, sports et journalisme d’investigation. Avant la première vague de licenciements, les journalistes avaient poussé à la démission le rédacteur en chef Peeter Helme (qui se trouve être le neveu du ministre de l’Intérieur membre du EKRE). Dès la première semaine de la crise du coronavirus, le nouveau rédacteur en chef du journal avait déclaré malvenue toute critique de la politique sanitaire du gouvernement.
Ekspress Meedia, l’autre grande maison de presse, a accueilli beaucoup de plumes critiques qui avaient signé des articles dans Postimees. Elle est ainsi devenue la cible des attaques de politiques d’extrême droite.
Depuis un an, plusieurs journalistes critiques de la radio-télévision publique ERR sont visés par des attaques de membres du gouvernement. Les partis représentés à l’Assemblée ont une certaine influence sur ERR par le biais du Conseil de l’audiovisuel public, dont ils nomment et révoquent les membres. Les appels aux limogeages sont de plus en plus fréquents. Ahto Lobjakas, animateur d’une émission radio à succès, a ainsi dû renoncer à son talk-show, refusant d’obtempérer à des injonctions d’autocensure. ERR conserve toutefois les caractéristiques d’un média largement indépendant.
La lecture a le vent en poupe
Ces deux dernières années, les modèles commerciaux de tous les éditeurs ont subi d’importantes transformations. Si la baisse des éditions papiers se confirme, grâce à une progression des abonnements numériques, le nombre des lecteurs est globalement en hausse. Eesti Ekspress fait ainsi état d’une hausse du nombre de ses lecteurs, qui passe de 28.000 en 2018 à 40.000 en 2019, versions papier et numérique confondues. Sur la même période, Äripäev enregistre une hausse de 46 pour cent du nombre de ses lecteurs (porté à 15.000). Les rentrées des abonnements pèsent ainsi davantage que les recettes publicitaires.
Classement pour la liberté de la presse (Reporters sans frontières) : rang 14 (2020)
Mise à jour : avril 2020