La haine précède la violence

In the refugee crisis people's inhibitions about making racist comments online have fallen away, commentators in Europe observe with alarm. How can this hatred be countered?

Photo: mkhmarketing via Flickr (CC BY 2.0)
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Le commentaire vidéo était en ligne depuis une journée à peine qu’il avait déjà enregistré 90 000 'likes', plus de 80 000 partages et près de 3 000 commentaires sur Facebook. L’appel d’Anja Reschke à lutter davantage contre les propos haineux sur Internet abordait un sujet sensible au sein de la société allemande, dès le mois d’aout 2015, c’est-à-dire avant même que les réfugiés n’affluent massivement vers le pays. La présentatrice de la chaîne publique NDR y fustigeait le fait qu’un nombre croissant d’utilisateurs des réseaux sociaux menaient des campagnes d’incitation à la haine à l’encontre des migrants, récoltant ce faisant un nombre considérable de "likes" : "En toute logique, un petit raciste insignifiant se retrouve subitement gonflé d’importance", indique Reschke pour décrire l’effet occasionné par la dédiabolisation croissante des propos haineux dans le débat sur les réfugiés". Un effet qui contribue selon elle à donner l’impression aux racistes de se sentir soutenus par la majorité de la société, ce qui les inciterait en fin de compte à passer à l’acte, en incendiant des foyers de réfugiés ou en s’attaquant à des étrangers.

Dès l’amorce de la crise des réfugiés, le rôle de catalyseur de la violence prêté à Internet a occupé une place centrale dans le débat public en Europe. Les commentaires racistes ou dégradants se généralisent, constatent également les journalistes d’autres pays. "Certains forums en ligne sont devenus un vivier de racisme. Jusqu'ici, les partisans de cette idéologie se cachaient généralement derrière des pseudonymes. A présent, ils publient sous leur véritable nom. Ils n'ont aucun scrupule à qualifier les réfugiés de 'sous-hommes' et à glorifier ouvertement les crimes nazis." Voilà ce qu’écrivait le magazine Newsweek Polska en juillet 2015. Les Polonais débattaient alors de la promesse faite par leur gouvernement d’accueillir 2 000 réfugiés. En septembre, le quotidien Gazeta Wyborcza faisait part de ses inquiétudes : "On trouve sur Internet des individus qui, sous leur propre nom et sans rencontrer le moindre obstacle, revendiquent la réouverture des crématoriums d'Auschwitz pour les réfugiés musulmans. Cette tendance annonce des crimes susceptibles d'être perpétrés par une foule haineuse, qui méprise les êtres humains."

Un lien entre la xénophobie en ligne et les agressions anti-réfugiés

Même en Suède, pays traditionnellement favorable à l’immigration, la haine à l’encontre des primo-arrivants se généralise sur la Toile. Pas étonnant dès lors que les xénophobes se sentent encouragés, souligne le journal Dagens Nyheter : "Dans la Suède de l’an 2016, être d’extrême droite se fait en toute quiétude et en toute assurance. Le sentiment de puissance qui en résulte se nourrit de la longue érosion des limites de la bienséance survenue ces dernières années. Des individus que l’on retrouve à tous les niveaux ont alimenté ce phénomène : politiques, journalistes et simples citoyens, qui prodiguent sur Facebook une haine protéiforme." En janviers, des néofascistes ont organisé de véritables chasses aux réfugiés dans les rues de Stockholm - un phénomène que les commentateurs ont mis en lien direct avec la déferlante de haine observée sur le Web.

Quand la haine sur Internet mène à des actes de violence physique, il faut intervenir, la plupart des journalistes d’Europe en conviennent. Mais comment ? C’est également la question que pose le quotidien Lapin Kansa suite à des attaques perpétrées par des manifestants à l’encontre de réfugiés et d’humanitaires dans la ville de Lahti, en Finlande méridionale : "Que penser de personnes qui tirent des feux d'artifice contre des demandeurs d'asile et jettent des pierres sur les collaborateurs de la Croix-Rouge ? Que répondre à ceux qui submergent les forums sur Internet de leurs commentaires pleins de haine ? La Finlande est un pays libre où chacun peut exprimer son opinion dans la mesure où il n'enfreint pas les lois." Dans le quotidien estonien Postimees, un policier se montre encore plus clair et appelle d’abord à donner des réponses judiciaires aux propos haineux en ligne : "La haine à l'encontre de certains groupes d'individus a provoqué des conflits armés et des génocides. C'est la raison pour laquelle on essaye en Europe, depuis des décennies, d'établir un cadre juridique pour lutter contre les propos haineux. En Estonie, la Constitution proscrit l'incitation à la haine."

Les individus haineux ne méritent rien de plus qu’un "delete"

La chroniqueuse suédoise Sakine Madon, régulièrement prise pour cible sur Internet en raison de ses origines turques, ne voit pas les choses de cette façon. "'J’espère que vous crèverez, toi et ta famille, sale moricaude'. Voilà ce qu’on m’a écrit dans un mail récemment. Si les véritables menaces sont relativement rares, les commentaires de ce type sont fréquents. Est-ce à la police de traiter ce genre de mails ? Je crois pour ma part que la police devrait réserver son énergie au traitement des vraies menaces et agressions. Les trolls haineux méritent rarement plus d’attention qu’une rapide pression sur la touche 'delete'."

Dans son intervention vidéo, Anja Reschke ne préconise pas non plus une intensification des sanctions pénales, mais appelle plutôt la majorité pacifique à résister plus ostensiblement aux campagnes haineuses. "Dire non, et s’exprimer" - telle est la marche à suivre, selon elle, face aux xénophobes de tout poil - sur Internet comme dans le cercle familial.