Avions de combat russes en Estonie : quelle réaction ?
Trois avions de combat russes auraient violé vendredi l'espace aérien de l'Estonie. Les appareils, de type MIG-31, y seraient restés pendant douze minutes, a indiqué le ministère estonien des Affaires étrangères. Tallinn a sollicité des consultations, suivant l'article 4 du traité de l'OTAN. La Russie nie avoir pénétré l'espace aérien du pays. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a indiqué que son pays n'hésiterait pas à abattre des avions russes intrusifs.
Opérer de manière transparente et conséquente
Polityka préconise d'abattre les aéronefs russes :
«Ces violations de l'espace aérien sont bien entendu délibérées. Pourquoi les Russes le font-ils ? ... Les gens sont inquiets, et c'est précisément le résultat recherché par Moscou. Il est donc justifié d'abattre leurs drones. Mais faut-il abattre les appareils 'habités' ? Ceux-ci ne représentent aucun danger direct. Mais si on laisse tout passer aux Russes, ceux-ci iront toujours plus loin. ... Pas tout de suite, bien entendu. Toutes les violations de l'espace aérien doivent être rendues publiques. Pour annoncer enfin publiquement que dorénavant, nous abattrons ces appareils.»
Privilégier des réponses rapides et prudentes
Pour Handelsblatt en revanche, il ne faut abattre les avions russes qu'en dernier recours :
«Lorsque la violation de l'espace aérien est claire et qu'il y a une menace. Par exemple lorsque les avions de l'OTAN qui interceptent les intrus sont eux-mêmes menacés. Le meilleur moyen de réagir aux provocations de Moscou consiste plutôt à faire preuve d'une capacité de réaction rapide. Car c'est précisément ce que la Russie s'emploie à tester quotidiennement aujourd'hui. Plus vite ces avions de reconnaissance ou de combat seront escortés par des appareils de l'OTAN, plus vite l'envie passera à Poutine de commettre de nouvelles provocations. L'OTAN serait donc bien inspirée de concentrer davantage ses avions d'interception sur le flanc oriental de l'OTAN, comme elle l'a déjà fait avec l'opération 'Eastern Sentry'. Et de développer de toute urgence sa défense antiaérienne contre les drones.»
La Russie n'a pas les ressources pour une surenchère
Les deux camps remplissent leurs objectifs pour le moment, analyse le spécialiste des questions de défense, Ilmar Raag, dans Õhtuleht :
«Même si elle le désirait, la Russie ne dispose pas, actuellement, des ressources nécessaires pour entamer une nouvelle guerre en plus de celle en Ukraine. La Russie a néanmoins les moyens de mener une guerre hybride pour semer la confusion en Occident et influencer la politique des pays qui le composent. ... L'OTAN cherche à éviter une escalade inopinée, et elle y est parfaitement parvenue. La Fédération de Russie, pour sa part, veut espionner et intimider – ce à quoi elle est parvenue également.»
La frontière orientale de l'OTAN testée
Les avions de combat russes avaient pour mission de sonder la défense aérienne de l'OTAN, écrit le spécialiste des questions de sécurité, Mykhaïlo Hontchar, dans un post Facebook relayé par Glavkom :
«La manœuvre avait pour objectif de tester la réaction des systèmes de défense des Etats de l'OTAN dans le secteur des détroits finlandais : quels radars seraient activés en Estonie et dans les autres Etats baltes voisins, en Pologne, en Finlande et en Suède ; quels avions seraient déployés en cas d'alerte, depuis quelles bases aériennes, et quel serait leur retard en vue d'une opération d'interception. Du reste, l'OTAN venait juste de mettre sur pied l'opération Eastern Sentry et ainsi de dépêcher des forces et des moyens supplémentaires sur le flanc oriental de l'alliance, après que des drones russes avaient pénétré dans l'espace aérien polonais.»
Moscou mise sur la division de l'Occident
Dans Ta Nea, Ino Afentouli, directrice de l'Institute of International Relations (IDIS), affilié à l'université Panteion d'Athènes, détaille les motivations de Moscou :
«La Russie sait que les Etats-Unis ont laissé aux pays européens la charge de soutenir l'Ukraine. Elle sait de surcroît qu'au sein de l'OTAN comme de l'UE, il n'existe pas d'unanimité sur l'approbation de ce soutien, deux de leurs Etats membres au moins - Hongrie et Slovaquie - s'y opposant. Si le moment redouté de l'activation de l'article 5 devait advenir, il y aurait la possibilité - fut-elle limitée - que l'unanimité requise ne soit pas atteinte. Ce serait un scénario catastrophe pour l'Europe, car cela ouvrirait la voie à la division de l'OTAN et fournirait à Poutine un scénario idéal.»
La Turquie indique la marche à suivre
Pour répondre à la question de savoir comment l'OTAN devrait réagir, le quotidien taz préconise un regard rétrospectif :
«Il y a près de dix ans, le 30 septembre 2015, la Russie lançait son intervention militaire brutale en Syrie pour sauver la dictature d'Assad. Le 24 novembre 2015, un bombardier russe en mission survolait pendant 17 secondes l'espace aérien de la Turquie, membre de l'OTAN, et était abattu. La Russie avait pesté de manière effroyable et décrété des sanctions, mais cela n'avait pas duré, et après quelques échanges de rodomontades et politesses, les deux autocrates, Erdoğan et Poutine, s'étaient mis d'accord sur le partage de leurs sphères d'intérêt en Syrie. Depuis, la Russie prend plus au sérieux la Turquie que tout autre pays occidental.»
La majorité préconise la prudence
Le débat sur les drones russes qui violent l'espace aérien roumain est trop enflammé, déplore le chroniqueur Costi Rogozanu dans Libertatea :
«Qui rémunère tous ces commentateurs qui, dans les médias, interviennent et expliquent que comparés aux héros polonais qui ont abattu les drones, nous ne sommes que des mauviettes ? ... Qui sont ceux qui s'obstinent à rêver que nous triomphions des Russes ? ... Il y a clairement, d'une part, une majorité de la population qui aspire à une prudence et une sagesse maximale face à toutes les altercations dans la région, et d'autre part ceux qui saturent les émissions télé et qui veulent faire la guerre à tout prix.»
Poutine est pris dans la spirale de la guerre
Si Poutine a besoin de la confrontation militaire avec l'Occident, c'est pour conserver son pouvoir dans son propre pays, fait valoir Kirill Martynov, rédacteur en chef de Novaïa Gazeta :
«Aussi bien dans le domaine de la hausse du budget de la défense que s'agissant des attentes des partisans de la guerre, qui reçoivent de l'argent et un statut social en contrepartie de leur disposition à commettre des crimes de guerre, la militarisation de la société s'est dangereusement aggravée. La raison à l'extension de l'agression à des pays tiers pourrait non seulement être la conviction de Poutine qu'il va gagner, mais aussi sa peur d'un retour de la Russie vers une vie paisible. Les dictateurs qui déclenchent une guerre songent rarement au fait que celle-ci pourrait détruire leur régime. Mais pour conserver leur pouvoir, ils doivent continuer l'agression.»