France : Lecornu peut-il s'imposer à Matignon ?
Malgré sa démission lundi dernier, Sébastien Lecornu a été renommé Premier ministre en France. Plusieurs portefeuilles clés restent par ailleurs aux mains des titulaires sortants au sein de son nouveau cabinet. La présentation du programme gouvernemental, ce mardi, ainsi que l'ébauche de budget, seront déterminantes. Des motions de censures déposées par LFI et le RN doivent en effet être examinées ce mercredi.
La peste et le choléra
La tâche de Lecornu est extrêmement risquée, prévient Le Figaro :
«S'il ne veut pas chuter comme ses deux prédécesseurs, Sébastien Lecornu pourra-t-il résister aux députés socialistes qui le tiennent en joue ? En cédant à leurs coûteux caprices, il évitera peut-être la chute de son gouvernement, mais il mettra un peu plus encore notre pays la tête sous l'eau. On n'apprend nulle part qu'on peut ' surpasser' une crise politique, comme dit le Premier ministre, en provoquant un marasme économique ! ... La France s'enfonce pourtant dans les deux à la fois. La peste et le choléra, la double peine. ... Bien au-delà de l'avenir du gouvernement Lecornu, c'est celui de la France qui est d'abord en jeu.»
Macron ferait bien de se raviser
Le président français doit placer les intérêts du pays au-dessus des siens, critique Le Monde dans son éditorial :
«M. Macron a-t-il compris qu'il devait s'effacer de son propre quinquennat, du moins en politique intérieure, pour sauver ce qu'il en reste ? ... Après son refus d'admettre le résultat des élections législatives perdues de 2024, son obstination à garder la main sous différentes formes a déjà conduit deux premiers ministres à échouer en à peine douze mois. Une nouvelle censure la semaine du 13 octobre forcerait sans doute à une dissolution qui ne résoudrait rien, mais précipiterait l'ensemble des partis de gouvernement dans une crise.»
Le pays vacille de crise en crise
La Libre Belgique estime qu'un nouveau budget n'apporterait aucun salut à la France :
«L'Etat français … vit sous respiration artificielle, passant de crise en crise, en espérant que la suivante sera un peu moins violente que la précédente, moins coûteuse aussi. ... Et si, par miracle, le budget finit par être voté, il sera défiguré, marchandé, vidé de sens. La peur des uns et des autres n'engendre que fébrilité, jamais de vision. Dans cette vacuité du pouvoir, les populistes sont rois : forts de leur audace à ne pas trembler et de leur légèreté aveugle face à l'ampleur des enjeux. ... En 2025, la mission d'un Premier ministre n'est pas tant de gouverner que d'apaiser les nerfs d'une classe politique en panique.»
La modération et la cohésion font défaut
C'est la polarisation qui domine, selon l'Opinion:
«Le chef de l’Etat aura réussi cette clarification-là : instaurer un unique clivage extrême droite-extrême gauche. ... RIP compromis, rassemblement et modération. Usé jusqu'à la corde, le mot 'responsabilité' n’a plus de valeur. Comment croire encore aux multiples appels à sortir de la crise par le haut, afin de doter la France d’un budget, même honteux ? ... De bonne volonté, le Premier ministre a compris qu’il fallait tenir son futur gouvernement loin de ces miasmes. Rien ne dit cependant qu’il bénéficiera, après son discours de politique générale, de ce que les Français attendent : un sursaut de lucidité.»
L'obstination absurde de Macron
Pour Rudolf Balmer, correspondant en France de taz, la reconduction de Sébastien Lecornu n'a strictement aucun sens :
«Puisqu'il bénéficie désormais d'encore moins de soutien et d'encouragement que lors de sa première tentative, l'entreprise paraît vouée à l'échec. Les réactions extrêmement vives de l'opposition montrent que Lecornu ne peut compter sur aucun état de grâce. … Et dans les rangs mêmes des partis jusqu'ici au pouvoir, la confiance est nulle. Ceux qui continuent de suivre le mouvement ne le font, comme Lecornu lui-même, que par 'sens du devoir', sans la moindre conviction. L'opiniâtreté de Macron est absurde. Plus que jamais, il semble s’être enfermé, loin de la réalité politique, dans la tour d’ivoire d'un pouvoir vidé de sa substance.»
Une aubaine pour Marine Le Pen
C'est avant tout la droite radicale qui profite de ce chaos, analyse De Standaard :
«L'impasse politique et les querelles des dernières semaines ont bénéficié à Marine Le Pen, dont la popularité ne cesse de croître. Elle n'a qu'à se placer en observatrice. Ce qu'elle répète depuis des années – que la classe politique parisienne a davantage en tête les postes à pourvoir que les préoccupations du peuple –, voilà ce que de nombreux Français affirment à leur tour. Ces derniers jours, la distanciation entre le RN et LR s'est encore réduite, si bien qu'une alliance à droite entre ces partis paraît de moins en moins taboue. Le RN a déjà tendu la main aux conservateurs pour former un gouvernement commun si l'occasion devait se présenter.»
Un nouvel échec serait lourd de conséquences
L'Europe toute entière devrait souhaiter à la France de se sortir véritablement de l'impasse :
«Après 27 jours de tentative de formation d'un gouvernement, si la meilleure solution, suite au départ de Lecornu, consiste à demander à ce dernier de revenir pour refaire un essai, alors c'est très clairement un mauvais présage, non seulement pour le pays, mais pour le reste de l'Europe. ... Un échec français serait préjudiciable pour ses voisins, et il soufflerait dans les voiles du Kremlin. C'est pourquoi toute l'Europe, à l'intérieur ou l'extérieur de l'UE (comme en Ukraine ou en Grande-Bretagne), doit aspirer à ce que la France résolve les problèmes à l'origine de son instabilité politique.»