Inquiétudes après l'attaque de drones en Arabie saoudite
Après les attaques de drones menées contre deux installations pétrolières en Arabie saoudite, et revendiquées par les milices yéménites houthistes, Washington et Riyad tiennent Téhéran pour responsable. Les chroniqueurs s'interrogent sur l'appui dont ont pu bénéficier les rebelles houthistes.
Tout semble pointer en direction de l'Iran
Il est peu probable que les Houthis aient pu mener l'attaque sans appui extérieur, estime Helsingin Sanomat :
«Il n'y a aucune preuve claire d'une implication de l'Iran, comme l'a également reconnu l'Arabie saoudite mercredi. Mais tout semble indiquer que l'Iran y a participé d'une manière ou d'une autre. Présentons les choses autrement : il faudrait plutôt apporter des preuves convaincantes susceptibles d'expliquer comment les Houthis, depuis le Yémen, à des centaines de kilomètres de là, ont pu mener seuls une attaque aussi parfaitement préparée. ... Il existe encore des acteurs indépendants sur la scène internationale et les Nations unies ont indiqué mercredi qu'elles enverront des enquêteurs en Arabie saoudite. La question est de savoir si les Saoudiens et les Américains attendront le résultat de ces enquêtes.»
Quelque chose qui cloche...
Les attaques laissent de nombreuses questions en suspens, juge le quotidien pro-AKP Milliyet :
«Les attaques ébranlent le marché du pétrole mais aussi l'équilibre sécuritaire. Compte tenu du fait, notamment, que les Etats-Unis sont le premier exportateur d'armes dans le monde, et l'Arabie saoudite le premier acheteur d'armes dans le monde. Le dispositif antiaérien saoudien, de fabrication américaine, et les radars des bases américaines dans la région n'ont pu localiser ni les drones houthistes, qui ont parcouru une distance de 1 000 km, ni les missiles appartenant soi disant à l'Iran. ... Cela pose une autre question, tout aussi troublante que la vulnérabilité du dispositif défensif : ces explosions pourraient-elles avoir été le fruit d'une mise en scène ? Et si ce n'est pas le cas, qui se trouve vraiment derrière les attaques ?»
Un avant-goût de la catastrophe
Dans Ukraïnska Pravda, l'expert en politique internationale Ilia Kousa tire plusieurs enseignements de cette attaque :
«On voit combien la guerre a évolué dans ce nouveau siècle. Même le conflit au Yémen entre dans une nouvelle dimension. ... Les rebelles houthistes ont accès, non sans le soutien de l'Iran, à des technologies qui les placent au niveau des troupes saoudiennes. Un conflit avec Téhéran devient de plus en plus probable. L'attaque de drones montre combien une guerre entre l'Arabie saoudite et l'Iran serait désastreuse et coûteuse. Si même les Houthis yéménites sont en mesure de porter de telles attaques, que se passera-t-il en cas de conflit de grande envergure ?»
La Russie à la rescousse ?
Ria Novosti croit savoir qui pourrait venir au secours de l'Arabie saoudite :
«Les Américains peuvent bien entendu envoyer leur 6e flotte dans le détroit d'Ormuz et menacer de passer leur colère sur Téhéran. Mais ils sont impuissants face à une dizaine de drones bon marché, qui causent des migraines à l'économie internationale. Les milliards de dollars que les Saoudiens ont investi dans les armements américains ne peuvent pas non plus résoudre le problème. La Russie, en revanche, aurait quelque chose à proposer à Riyad, comme le montrent les succès enregistrés par la défense antiaérienne dans l'interception de drones lancés contre les bases aériennes [en Syrie]. Il suffirait de demander à la Russie - idem pour le Koweït. Et ceux qui croient que les partenaires stratégiques des Etats-Unis n'oseront jamais conclure un tel partenariat feraient bien de demander à Erdoğan ce qu'il en pense.»
Une guerre n'est pas dans l'intérêt de Trump
Malgré les bruits de bottes, une guerre s'avérerait désastreuse pour Trump, juge Novi list :
« Après les destructions mutuelles de drones et les multiples attaques contre des pétroliers dans le détroit d'Ormuz, Trump avait déjà préconisé des frappes aériennes, avant de les annuler à la dernière minute. Bien que Trump joue constamment les va-t-en-guerre et bien que sa politique semble parfois consister à jeter de l'huile sur le feu iranien, il est clair que pour lui, une guerre avec l'Iran, un an avant les présidentielles, serait une véritable catastrophe. C'est pourquoi il est est dans l'intérêt de Trump de calmer le jeu et d'espérer que l'Iran, qui souffre des sanctions américaines, jugera inutile toute nouvelle dégradation de la situation. »
Le Proche-Orient au bord de la déflagration
De l'avis du quotidien islamo-conservateur Yeni Şafak, l'Iran et l'Arabie saoudite vont désormais s'affronter ouvertement :
«Cette attaque a transformé la guerre au Yémen en une guerre en Arabie saoudite. ... Il n'existe pas de mécanisme susceptible de faire sortir les parties de cette voie dangereuse ou de les apaiser. ... On est aujourd'hui à un pas seulement de nouvelles guerres au Liban et en Irak. ... Le conflit va donc s'étendre au niveau régional. On peut certes se demander le prix qu'aura à payer tel ou tel pays, mais il est certain que la guerre touchera l'Arabie saoudite au cœur.»
Un poker à haut risque
Téhéran entend provoquer les Etats-Unis selon le modèle nord-coréen afin de forcer Trump à s'asseoir à la table des négociations, croit savoir Index :
«Le conflit avec l'Iran est toutefois bien plus complexe que celui avec la Corée du Nord : il implique plusieurs protagonistes, des milices aux organisations terroristes en passant par les agents dans d'autres Etats, et même la superpuissance américaine. Le risque de surréaction est donc bien plus important : on peut se fourvoyer et répondre à l'attaque d'une raffinerie par le bombardement d'une ville.»
La réaction d'un animal traqué
L'Iran est exsangue, analyse Tages-Anzeiger :
«Quand un Etat pétrolier ne peut presque plus exporter de pétrole, ses dirigeants n'ont qu'une marge de manœuvre très ténue. L'antagonisme entre les centres de pouvoir opposés - les mollahs et l'armée -, l'explosion démographique et la pénurie d'eau : même sans Trump, la République islamique aurait des problèmes. Si Téhéran avait essayé de tracer des limites à Washington en soutenant les Houthis ou une autre milice chiite, le message aurait été sans équivoque : si les Etats-Unis attaquent, ils en paieront le prix fort. Dans ce genre de guerre asymétrique, le leader d'une grande puissance doit réagir avec plus de tact qu'on ne peut en attendre de Trump.»
L'Europe doit revoir sa position envers l'Iran
La crise s'aggrave, prévient De Telegraaf :
«En toile de fond, il y a les relations extrêmement tendues entre les Etats-Unis et l'Iran après la résiliation de l'accord sur le nucléaire iranien. ... Le président Trump cherchait visiblement à opérer un rapprochement prudent avec l'Iran, mais désormais, la crise est bel et bien là. ... Téhéran rejette toute implication dans cette attaque éminemment high-tech, tandis que l'UE appelle à ne pas tirer de conclusions hâtives. Mais si des preuves convaincantes de la participation de Téhéran à cette escalade dangereuse devaient être apportées, alors il faudrait que l'Europe revoie son attitude par trop circonspecte vis-à-vis de l'Iran.»
Des armes dangereusement accessibles
Le type d'armes utilisées préoccupe Ilta-Sanomat :
«Ces drones lancés contre l'Arabie Saoudite prouvent que les derniers développements technologiques en matière d'armement sont à la portée de tous - y compris des rebelles et des terroristes. Jusqu'ici, ce genre d'attaques ciblées menées par drone était une spécialité des Américains. ... Cela peut changer dorénavant. ... Cette technologie n'est même pas chère. On estime que les drones qui ont attaqué l'Arabie Saoudite se chiffrent autour de 15.000 euros pièce. ... Dans de mauvaises mains, les drones sont une arme très dangereuse. Rien que de penser à leur force destructrice donne la chair de poule.»
Les drones frappent l'Arabie saoudite en son cœur
L'atteinte à la réputation de l'Arabie saoudite est considérable, estime Der Standard :
«L'Arabie saoudite est l'un des pays qui dépensent le plus en matière d'armement, notamment en équipements de haute technologie : et pourtant, quelques drones relativement basiques ont suffi pour paralyser une partie de l'industrie pétrolière du pays, et provoquer une crise internationale. Les détails des attaques menées contre les installations d'Aramco ne seront pas divulgués de sitôt, mais les images satellites, qui montrent d'énormes nuages de fumée au-dessus de la péninsule arabique, en disent long. ... Pour l'Arabie saoudite, où l'évolution n'est déjà pas conforme au projet 'Vision 2030' du prince héritier Mohamed Ben Salmane, les dégâts économiques sont importants - mais l'image du pays en pâtit aussi considérablement.»
Quelles réactions ?
L'attaque dans le golfe Persique pourrait avoir de graves implications, juge De Standaard :
«L'enquête a un potentiel explosif. ... L'une des possibilités, c'est que les Houthis aient commis l'attaque par le biais d'une cellule basée sur le territoire saoudien. ... D'après un reportage du Wall Street Journal, des experts américains évoquent aussi la possibilité que les drones - ou les missiles - aient été tirés par des milices pro-iraniennes depuis l'Irak, voisin septentrional du royaume. L'Iran réfute cependant toute implication. ... Il faut attendre de voir comment l'Arabie saoudite réagira, mais aussi et surtout, ce que feront les Etats-Unis.»
Riposte rimerait avec récession
Financial Times s'inquiète pour les prix du pétrole :
«Le risque principal pour les marchés, ce serait des représailles de l'Arabie saoudite contre l'Iran, qui soutient les rebelles houthistes au Yémen. La crainte d'un tel conflit, combinée à l'instabilité du régime saoudien du prince héritier Mohamed Ben Salmane, mettra sous pression les marchés pétroliers dans les prochaines jours. Et s'il devait vraiment y avoir une riposte, le prix du pétrole partirait durablement à la hausse, ce qui, en retour, accroîtrait le risque de récession.»