France : la réforme des retraites a été adoptée
La très controversée réforme des retraites a été définitivement adoptée en France : après le recours au 49.3 pour éviter un vote au Parlement, le gouvernement a survécu aux deux motions de censure déposées contre lui. Alors que la mobilisation contre le projet se poursuit dans le pays, les éditorialistes s'interrogent sur la suite des évènements.
Une victoire amère
L'heure n'est pas à la fête pour Macron, constate The Economist :
«Il s'agit vraisemblablement d'une victoire à la Pyrrhus pour Macron. Il est pour le moins malheureux que la réforme n'ait pas été adoptée via la procédure parlementaire habituelle. Cet épisode exacerbera l'image de dirigeant 'jupitérien' qui colle au président. Sa côte de popularité, qui était de 41 pour cent après sa réélection, s'établit à tout juste 28 pour cent aujourd'hui, selon l'institut de sondage IFOP. Il s'agit du pourcentage le plus bas depuis la révolte des gilets jaunes début 2019. Un soulèvement populaire similaire, en plus des troubles politiques, n'est du reste pas à exclure.»
Un amateurisme désastreux
Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont fait piètre figure, critique Libération :
«Ils auront depuis deux mois, en défendant mal un projet bâclé, fait la démonstration de leur amateurisme. Ils auront, comme rarement, affaibli un Parlement qui n'avait pas besoin de ça. Il était nécessaire de redorer son blason. Ils ont fait l'inverse. Le Président et la Première ministre auront aussi largement contribué à creuser un peu plus ce fossé qui éloigne, année après année, les citoyens de la politique. Ils auront fait, en passant, le lit du RN et plus globalement de cette mouvance complotiste d'extrême droite qui boit chaque crise politique comme du petit-lait.»
La réforme est logique, pas la contestation
Diário de Notícias ne comprend la mobilisation contre la réforme des retraites :
«De par de la hausse de l'espérance de vie, le relèvement de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ne relève que du bon sens. Mais socialement, la mesure ne passe pas. Les Français s'indignent de tout. Quitte à remettre en cause une nécessité : celle de garantir que les jeunes d'aujourd'hui puissent eux aussi bénéficier de l'Etat-providence à l'avenir. ... D'autant que la réponse des gouvernements pour apaiser leur population repose toujours sur la même solution intenable : contracter davantage de dettes publiques dans une Europe vieillissante et moins compétitive, qui menace de s'effondrer.»
Une forme de cohabitation avec la droite est nécessaire
L'Opinion appelle LR à revoir sa copie :
«La France est à droite, elle vote à droite et continue de glisser à droite. Ecole, santé, transformation écologique, immigration, lutte contre l'insécurité, reprise en main des déficits publics : sur tous ces dossiers, qui sont autant de défis au gouvernement, Emmanuel Macron porte à chaque fois qu'il l'exprime un regard de droite. … La situation [de LR] est désormais différente : profondément fracturé, le groupe n'en est plus un et son avenir est menacé. C'est eux-mêmes qu'ils doivent sauver. Or il leur reste une chance de peser : négocier un programme de gouvernement. Une sorte de cohabitation d'un nouveau type, basée davantage sur la co-construction que sur la confrontation.»
Paris n'est pas Budapest
Contrairement à ce que prétend la presse pro-gouvernementale hongroise, la France reste malgré tout bien plus démocratique que la Hongrie, estime le journaliste Szabolcs Szerető dans Magyar Hang :
«Macron a contourné le pouvoir législatif, ce qui rappelle l'exercice illibéral du pouvoir par Orbán en Hongrie. Mais même si le choix de Macron est indéniablement antidémocratique, il n'abroge pas la tradition française du respect du droit public. Par ailleurs, la réforme des retraites était un élément central du programme électoral de Macron. J'ignore qui du président ou de la contestation ressortira vainqueur de ce conflit, mais ce qui est certain, c'est que la société française est en mesure de faire valoir ses intérêts vis-à-vis des dirigeants.»
C'est la seule issue
The Times salue la détermination inébranlable d'Emmanuel Macron :
«Il est temps de prendre le taureau par les cornes. La France ne peut plus se permettre ses retraites de luxe. Si rien n'est fait, le système de retraite public pourrait accuser un déficit de 790 milliards de livres sterling [environ 900 milliards d'euros] d'ici 2050. Macron considère à juste titre la réforme des retraites comme essentielle, et pas uniquement pour sauver le système de pension. Tout comme la Grande-Bretagne, la France a besoin des cotisations de sa main d'œuvre senior, dans un pays où seulement 56 pour cent des 55-64 ans sont encore dans la vie active, contre 72 pour cent en Allemagne.»
Macron déstabilise la France
Le chef de l'Etat ne rend pas service au pays, estime le rédacteur en chef de Libération, Dov Alfon :
«Emmanuel Macron a cassé tous les œufs qu'il avait au frigo, mais n'a pas réussi à faire d'omelette. La liste donne le tournis : les mensonges éhontés dès la présentation de la réforme, les tractations secrètes pour la faire voter, les centaines d'amendements arbitrairement repoussés, ... le refus arrogant de rencontrer les syndicats, ... le mépris face à une des contestations populaires les plus importantes de l'histoire de la Ve République. … A venir : durcissement des protestations, rejet des institutions de la République et ouverture de la brèche populiste par laquelle l'extrême droite pourrait s'engouffrer. »
Le Pen peut se frotter les mains
Pour Tagesspiegel, avec sa politique, Macron va droit dans le mur :
«Jugée antisociale, la réforme fait l'objet du rejet massif de la population, avec manifestations sans précédent et grèves, et des syndicats unis comme ils l'ont rarement été. Et c'est précisément cette loi, controversée et détestée de tout un peuple, qui devrait être adoptée sans passer par le vote de l'Assemblée, parce que celui-ci ne dispose pas d'une majorité sûre ? La chose a de quoi ébranler sérieusement la confiance des Français dans la démocratie et les institutions. La seule à pouvoir se frotter les mains, c'est Marine Le Pen et son parti d'extrême droite. »
Un jeu risqué
La démarche de Macron est risquée à plusieurs titres, met en garde La Stampa :
«Premièrement, il est clair que la France ne traverse pas une crise financière similaire à celle que l'Italie a connue en 2011 lorsque le gouvernement Monti a adopté par décret la réforme des retraites. ... Invoquer une crise financière alors qu'on n'est pas vraiment en train de la subir, ne peut pas rendre acceptable une mesure impopulaire dans la population. Deuxièmement, Macron met sérieusement en jeu sa propre crédibilité, car le recours au 49.3 exige la force politique et la cohérence de ne pas rétropédaler par la suite.»
La France serait-elle vouée à l'immobilisme ?
Face aux vives protestations qui secouent la France sur la réforme des retraites, Le Figaro se dit inquiet pour l'avenir du pays :
«Est-il encore réformable ? Est-il voué à l'immobilisme dans un monde en perpétuel mouvement ? Cette réforme des retraites, rendue indispensable par l'évolution démographique, n'est pas la mer à boire ! Comparée à toutes celles que nos voisins ont mises en œuvre, elle est même très modérée. N'empêche, elle met la société sens dessus dessous, aiguillonnée par des syndicats dont certains ne rêvent que de 'mettre l'économie à genoux'. Jeudi, l'exécutif a employé la manière forte pour l'adoption de sa réforme, mais celle-ci a quand même le goût de l'échec.»