Serbie : nouvelle grande manifestation contre Vučić
A Belgrade, des dizaines de milliers de personnes ont une nouvelle fois défilé contre le gouvernement d'Aleksandar Vučić et réclamé la tenue de législatives anticipées. Le cortège a été émaillé d'affrontements entre la police et les manifestants. La contestation dure depuis huit mois en Serbie. Elle a débuté après l'effondrement d'un toit de la gare de Novi Sad, le 1er novembre 2024, qui avait fait 16 morts.
Inquiets pour leurs prébendes
Les dirigeants s'accrochent à leur pouvoir, juge Lidové noviny :
«Ils ne redoutent pas une destitution violente, bien que le gouvernement qualifie ouvertement les manifestants étudiants de terroristes, de fascistes et de nazis. ... Ils savent très bien, néanmoins, que confrontés à la violence, les étudiants se défendent. ... Depuis des années, la Serbie est dirigée par des écheveaux de familles 'élues'. ... Déliés, tous ces fils mènent à Vučić, le leader inattaquable de la hiérarchie hégémonique. Lorsque Vučić avait débuté son parcours à la tête du pays, il avait misé sur les déçus d'une transformation postcommuniste tardive, chaotique, et discréditée par la corruption. La plupart d'entre eux ont aujourd'hui 50 ans ou plus, la paix et la stabilité compte davantage pour eux que l'Etat de droit.»
Le pays a besoin de démocratie
La fin de la crise n'est pas en vue, affirme Večer :
«L'idée des étudiants était de se présenter aux élections avec leur propre liste, d'appeler les partis d'opposition à les soutenir et à se désister. Dans un pays démocratique et normal, une telle idée serait positive et prometteuse, mais pas en Serbie. Les étudiants vont au devant d'une tâche considérable. Les changements paraissent impossibles. ... Les thèmes évoqués dans les manifestations en disent long : le Kosovo, la mythologie et la 'serbité'. Personne, en revanche, n'a parlé d'Europe. Or ce n'est pas avec de tels narratifs que les étudiants changeront le système. La Serbie a besoin de changements démocratiques, pas d'un nouveau Vučić.»
13 ans de violence
La violence initiale ne vient pas des manifestants, assure Vreme :
«Depuis 13 ans, les patrons fidèles au gouvernement n'embauchent que ceux qui ont leur carte du parti, ils extorquent les familles et les privent de leur pain quotidien.. ... Depuis 13 ans, des journalistes fidèles au régime et organisés de façon paramilitaire dénoncent ceux qui pensent de leur propre chef, accolent des cibles sur le dos de certaines personnes, détruisent des vies, tandis que les généraux de cette même milice ne cessent de s'enrichir. ... Depuis 13 ans, la mafia s'accapare chaque mètre-carré de bâti et d'asphalte nouvellement construits ; même dans les appels d'offre en vue de proposer des modules de formation aux élèves et enseignants après le massacre de l'école Ribnikar, le peuple se retrouve spolié. ... 13 ans - ne s'agit-il pas d'une forme de violence ultime ? ... Ceux qui l'occultent, et qui s'indignent du moindre jet de pierre, dans une posture proprement petite-bourgeoise, n'ont vraiment rien compris.»
Unis par un même but
Il est plutôt positif que dans le cadre de la mobilisation, des discours aux accents nationalistes aient été entendus, estime Pešćanik :
«Le mouvement étudiant a-t-il vraiment viré à droite parce qu'il a convié ces deux ou trois orateurs ? ... Ou bien montre-t-il seulement comment cohabiter en bonne intelligence dans un même immeuble ? Le principal, c'est que la musique ne dérange pas, quelle que soit la musique jouée par les voisins, et que le règlement intérieur adopté par l'ensemble des habitants soit respecté. ... La situation actuelle se présente comme une alternative : 'eux ou nous' ; mais peut-être peut-on la remplacer par un agrégat : 'eux et nous'. On ne choisit pas sa famille, ses voisins, ses concitoyens. Mais on peut choisir celui qui dirige les affaires de l'Etat en notre nom. Et en tout premier lieu, on se doit d'empêcher de laisser un indésirable diriger notre pays.»
Laisser le peuple trancher
Il est grand temps que les Serbes aillent aux urnes, juge Politiken :
«Il s'agit d'un combat entre des démocrates libéraux et le régime illibéral de Vučić, qui, dans son orientation politique, est plus proche de la Hongrie, 'l''enfant terrible de l'UE', que des valeurs fondamentales incarnées par l'Union. Aleksandar Vučić a lui aussi refusé de souscrire aux sanctions visant le Kremlin, suite à la guerre d'agression menée par la Russie en Ukraine. Ainsi, le bras de fer en Serbie devrait revêtir un grand intérêt pour nous, dans le reste de l'UE. Une Serbie qui prend fait et cause pour la démocratie libérale viendrait renforcer l'Union ; une Serbie qui continuerait de suivre la ligne Vučić affaiblirait à tel point l'UE qu'une adhésion serait hors de question. Que veulent les Serbes ? Laissons-les trancher.»
L'Europe doit agir
Le quotidien Frankfurter Rundschau appelle l'Europe à prendre plus clairement position contre Vučić :
«Revenir sur la suppression des visas pour les Serbes désireux de voyager dans l'espace Schengen ne sanctionnerait pas les coupables et aurait un effet délétère. ... Mais qu'il s'agisse d'exclure enfin de la famille chrétienne-démocrate européenne PPE le parti russophile au pouvoir SNS, de suspendre des négociations d'adhésion de toute façon au point mort, ou de geler les fonds préliminaires d'adhésion octroyés : les partenaires européens disposent de suffisamment de possibilités de se distancier des fossoyeurs de la démocratie serbe, et ils doivent désormais agir. L'Europe ne peut plus se permettre de continuer à jouer les spectatrices en Serbie.»
Quel pays veulent les manifestants ?
La violence revient au premier plan, déplore Jutarnji list :
«Il aurait été étrange que la manifestation de samedi à Belgrade, contre l'omnipotence d'Aleksandar Vučić et l'oligarchie au pouvoir en Serbie, se soit terminée différemment que par des échauffourées entre manifestants et forces de police. Comme à l'accoutumée, les premiers y ont laissé des plumes. Par ailleurs, Vučić avait raison quand il avait annoncé que la protestation finirait dans la violence – donnant d'emblée aux forces de l'ordre carte blanche pour réprimer ceux qui revendiquent un changement de gouvernement. C'est donc la violence du régime serbe qui a occupé le devant de la scène, et non les discours tenus lors de la mobilisation. ... Celle-ci dure déjà depuis huit mois, sans que l'on sache à quelle Serbie aspirent les détracteurs de Vučić, qui demandent son départ.»
Cela ne promet rien de bon
A la différence des protestations organisées jusque-là, celles-ci ont été marquées par une rhétorique extrêmement nationaliste, constate Večernji list :
«Les discours des étudiants lors de la manifestation de Vidovdan [fête nationale serbe le 28 juin] avaient des accents clairement nationalistes. ... Le nationalisme a souvent été funeste à la Serbie. ... Or cela ne dérange personne. Pourtant, un nouvel arrangement potentiel contre le 'despote' avec l'ancien Premier ministre [Vojislav] Koštunica à la tête d'une nouvelle génération n'apportera rien de bon. Vučić peut bien être renversé – Milošević avait lui aussi été renversé en son temps. Mais nous avons vu et nous voyons aujourd'hui encore ce qui s'est passé par la suite. Vučić lui-même aggrave les maux du pays en fermant les yeux sur la réalité.»