Lutte anticorruption : l'Ukraine fait-elle un pas en arrière ?
En Ukraine, une nouvelle loi affectant l'indépendance des autorités de lutte anticorruption suscite le mécontentement. Le Bureau national anticorruption et le Parquet national anticorruption seront dorénavant placés sous l'autorité du Parquet général. Les observateurs critiquent le président Zelensky et voient l'Ukraine sur la voie d'une dangereuse dérive autoritaire.
La trahison d'Euromaïdan
Sevhil Moussaïeva, rédactrice en chef d'Ukraïnska Pravda, évoque un tournant vers l'autoritarisme :
«C'est la fin de l'infrastructure anticorruption mise en place par la société civile au lendemain de la révolution de la dignité [Euromaïdan], sous la pression des partenaires internationaux et en réponse aux aspirations de ces Ukrainiens rêvant de transparence et de probité de l'Etat. Et qui ont sacrifié leur vie pour cette lutte. Aujourd'hui, tout cela a été trahi. Cette décision signifie une perte de repères, une profanation de la mémoire - le début d'un glissement vers l'autoritarisme, d'une concentration du pouvoir entre les mains d'une seule personne, et la disparition de l'équilibre, de la responsabilité et de la crainte d'être pris la main dans le sac.»
L'Ukraine 'se poutinise'
Avec cette réforme, l'Ukraine ressemble un peu plus à sa voisine honnie, déplore The Spectator :
«Le combat pour l'avenir de l'Ukraine se livre sur le champ de bataille, mais aussi au sein de ses institutions démocratiques. L'une de ces batailles a été perdue mardi. ... La loi ramène les Ukrainiens dans l'orbite du pays dont ils veulent à tout prix sortir. Si cette loi n'était pas rapidement abandonnée, Zelensky risque de voir les citoyens se mobiliser à nouveau place de l'Indépendance, pour un nouveau Maïdan. Ce moment pourrait du reste être plus proche que ne le soupçonne le président ukrainien.»
Zelensky prend de gros risques
Le président Zelensky prend de court non seulement les Ukrainiens, mais aussi ses partenaires occidentaux, écrit Rzeczpospolita :
«Il est difficile de prédire les conséquences auxquelles les dirigeants ukrainiens devront faire face suite à leurs récentes décisions. Volodymyr Zelensky va très bientôt devoir affronter les réactions de la société ukrainienne, de ses adversaires politiques, mais aussi du monde démocratique qui soutient l'Ukraine. D'autant plus que dans sa lutte anticorruption, Kyiv a encore du pain sur la planche. Au classement de Transparency International de l'an dernier, l'Ukraine se situait au niveau de l'Algérie.»
Kyiv s'éloigne de l'UE
Cette mesure compromet le rapprochement du pays avec l'UE, met en garde La Repubblica :
«La lutte contre la corruption endémique qui enserre l'Ukraine depuis des décennies a porté ses fruits ces dernières années. Une amélioration dans ce domaine est une des conditions centrales à l'adhésion de Kyiv à l'UE. Rien d'étonnant donc à ce que la commissaire européenne à l'Elargissement, Marta Kos, ait fait part hier de ses inquiétudes quant à cette contre-réforme qui élargit les prérogatives du président et représente une 'sérieuse régression" par rapport aux progrès réalisés par Kyiv ces dernières années.»
La lutte anticorruption continue
Dans Unian, le spécialiste politique Vitaly Kouly juge pour sa part que la fermeture du Bureau national anticorruption ne vaut pas une larme :
«L'agence ne peut se targuer d'avoir décelé le moindre cas de corruption qui ait conduit à une condamnation au plus haut niveau. Dans l'ensemble, l'architecture de lutte anticorruption s'est avérée inefficace. C'est pourquoi je ne me joins pas au concert de lamentations sur le projet de loi numéro 12414, qui n'enterrera ni la lutte anticorruption ni le processus d'intégration à l'UE. Car les Etats-Unis et l'UE continueront d'exiger, à l'avenir encore, la transparence et une meilleure efficacité dans l'utilisation des aides. Ce gouvernement restera donc obligé de se doter de mécanismes anticorruption appropriés.»