République tchèque : Babiš remporte les législatives
Le parti d'Andrej Babiš (ANO) a remporté les élections législatives en République tchèque avec 34,5 pour cent des voix. L'ancien Premier ministre fait donc son retour après quatre ans dans l'opposition. Les chroniqueurs analysent les ressorts du succès du milliardaire, et se demandent si le pays renoncera à son cap pro-européen et pro-ukrainien.
Un occidental, contrairement à Fico
Denník N évoque les différences majeures entre le vainqueur des élections tchèques et le Premier ministre slovaque, Robert Fico :
«Tandis que le premier n'a jamais songé à consulter le Kremlin, à boycotter ouvertement les sanctions contre la Russie, ou à annoncer la sortie de la Tchéquie de l'UE et de l'OTAN, Robert Fico est mentalement déjà pleinement à l'Est. Andrej Babiš, pour sa part, se considère encore clairement à l'Ouest, car c'est là qu'il mène ses affaires, et il prend pour modèle Donald Trump plutôt que Vladimir Poutine. La grande différence entre Fico et Babiš réside aussi dans la société où ils évoluent. Babiš ne songerait jamais à abolir des partenariats que le droit tchèque reconnaît depuis 19 ans, ou à interdire constitutionnellement les adoptions par des couples homosexuels.»
Une victoire à la Pyrrhus ?
La formation d'un gouvernement à Prague ne sera pas si facile pour le vainqueur du scrutin, car deux petits partis d'extrême droite refusent de tolérer un gouvernement minoritaire, à moins d'obtenir eux-mêmes des postes de ministres, commente Reflex :
«Le succès de Babiš prend de plus en plus l'allure d'une victoire à la Pyrrhus. Les petits partis, dont il cherche le soutien pour son gouvernement minoritaire, ne coopéreront pas sans d'importantes contreparties. ... Ils ne se satisferont pas de simples postes au Parlement ou au sein d'entreprises semi-publiques. Ils briquent des postes de ministres et de secrétaires d'Etat. ... Tout indique que l'on se dirige vers une difficile partie de poker. Et en dépit de son incontestable victoire électorale, Babiš n'a pas les meilleures cartes en main.»
Encore un 'messie' populiste
De nombreux Tchèques voient en Babiš un sauveur, fait valoir Český rozhlas :
«Dans un monde incertain, imprévisible et ébranlé par les guerres, plus d'un tiers des électeurs a refusé de songer à des solutions réalistes et rationnelles à nos problèmes, choisissant de confier son avenir à un individu capable de propager à vitesse grand V une pléthore de promesses, sans se soucier de savoir si celles-ci pouvaient être tenues. ... La victoire claire de Babiš ressemble à celles de Donald Trump et d'autres politiques populistes comme Viktor Orbán ou Robert Fico. C'est la victoire d'un individu que les gens considèrent comme le Messie qui viendra les sauver.»
La question du niveau de vie a été cruciale
Hospodářské noviny tente d'expliquer ce résultat électoral :
«L'enjeu de ces élections, c'était de savoir quel narratif allait s'imposer - celui du gouvernement, qui se fondait sur la nécessité de défendre la civilisation face à une Russie agressive, ou celui de l'opposition, qui plaçait les questions de politique intérieure comme les prix de l'énergie, la construction de logements et les revenus réels au premier plan. Les Tchèques ont décidé de privilégier leurs propres petits intérêts ; la question du niveau de vie l'a emporté sur toute la ligne. ... Seule une minorité s'est posé la question de savoir à quoi pourrait bien servir un logement bon marché si celui-ci était frappé par un missile russe.»
Les livraisons de munitions à Kyiv menacées
LB.ua se dit inquiet :
«Babiš a plusieurs fois affirmé qu'en cas de victoire, il suspendrait l'initiative sur la livraison de munitions à l'Ukraine. Le président d'ANO et plusieurs politiques de son parti affirment que trop d'argent du contribuable a été alloué à ce programme - ce qui ne correspond pourtant pas à la réalité, l'ensemble des coûts ayant été assumés par d'autres Etats de l'UE. Le président tchèque s'efforce de convaincre Babiš de ne pas mettre fin à 'l'initiative tchèque'. ... Celui-ci pourrait donc réviser le format de l'initiative tchèque relatif à la livraison de projectiles à l'Ukraine, afin d'honorer ses promesses de campagne. L'une des options serait de placer le programme sous l'égide de l'OTAN.»
Délicat pour l'UE
NRC voit dans le retour de Babiš un problème pour l'UE :
«Son élection s'inscrit dans le cadre d'une tendance inquiétante pour l'UE en Europe centrale et orientale. ... L'entente européenne n'est donc pas sans accrocs. Des pays qui ont fortement profité ces dernières années des avantages économiques que leur a apportés l'UE, sont nettement moins enthousiasmés par ce que l'Union leur demande en contrepartie : la solidarité et la disposition à résoudre les problèmes de concert. L'Europe sera confrontée à une tâche délicate dans les années à venir : impliquer la République tchèque et d'autres PECO dans l'UE, sans pour autant sacrifier ses idéaux et ses principes.»
Pas de raison de s'inquiéter
Rzeczpospolita ne croit pas que la Tchéquie s'affranchira totalement du cap suivi jusque-là par le gouvernement Fiala :
«La coalition gouvernementale et ses alliés avaient présenté ce vote comme un combat entre d'une part l'Europe et l'Occident, qu'ils pensaient représenter, et de l'autre les populistes et les extrémistes qui collaborent avec la Russie. S'il s'agissait peut-être d'un bon slogan de campagne, cela ne reflète pas nécessairement la ligne de faille qui traverse la société tchèque. ... Le président Petr Pavel n'autorisera certainement pas qu'en matière de politique étrangère et de défense, des postes importants soient confiés à des extrémistes, et Babiš semble s'y résoudre. Samedi soir, le président s'est montré optimiste, affirmant que les résultats 'confirment l'orientation pro-occidentale du pays'.»