Guerre en Ukraine : les négociations d'Istanbul vouées à l'échec ?

C'est avec un jour de retard que commencent, ce vendredi, les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie, en l'absence notable de leur instigateur, Vladimir Poutine. Pendant ce temps, celui-ci prolonge de deux ans le plan de défense russe. L'UE, de son côté, prévoit de prendre de nouvelles sanctions contre la Russie, mardi.

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Lev Chlossberg (RU) /

La sinistrose n'est pas de mise

Pour le politique libéral Lev Chlossberg, une rencontre russo-ukrainienne est déjà, en soi, une grande avancée qui ouvre des perspectives prometteuses :

«Les présidents sont le plus haut échelon. Ils ne peuvent se rencontrer qu'après que des délégations se soient mises d'accord sur les points essentiels. La possibilité d'une telle rencontre n'est pas exclue, mais on ne traverse pas un champ de mines en quelques enjambées. Rien ne justifie la sinistrose. Il y a six mois encore, il aurait été inconcevable de songer à une rencontre, et encore plus inconcevable d'en parler.»

Die Presse (AT) /

Une annulation serait fatale au processus

Le quotidien Die Presse critique la précipitation avec laquelle sont organisés les pourparlers :

«Le sommet dit d'Istanbul est une pirouette de Poutine, par laquelle il cherche à jeter un os à Trump. Au demeurant, toute avancée, aussi minime soit-elle, serait la bienvenue. Des échanges directs entre les belligérants sont la condition préalable à la conclusion d'un cessez-le-feu, voire même d'un accord de paix. Mais les négociations de ce genre demandent à être bien préparées, si on ne veut pas qu'elles ne mènent nulle part. La mise en scène trop hâtive du sommet d'Istanbul et le risque d'échec qui lui est inhérent ont l'inconvénient de repousser encore plus loin dans le temps la prochaine fenêtre d'opportunité. Cette occasion manquée pourrait se traduire par une escalade de la guerre.»

Corriere della Sera (IT) /

Poutine doit gagner les faveurs de Trump

Poutine a davantage intérêt à un arrêt des combats qu'il ne le montre, estime Corriere della Sera :

«Le second mandat de Trump a changé les priorités de Poutine. Il est vrai que le président russe s'accommoderait fort bien d'une poursuite de la guerre, d'autant plus qu'il croit avoir l'avantage. ... Mais l'amitié naissante avec le président américain est bien plus importante à ses yeux. Car elle pourrait, à long terme, aboutir à des accords sur l'arctique et sur les prix du gaz et du pétrole dont la spectaculaire dégringolade menace d'étrangler une économie russe déjà mal en point. La fin des hostilités pourrait être le moyen de gagner durablement, si ce n'est définitivement, la confiance de la Maison-Blanche.»

La Tribune (FR) /

La mort lente des institutions internationales

Les perspectives sont mauvaises pour l'Ukraine et le système international, déplore Sébastien Boussoir, docteur en sciences politiques, dans La Tribune :

«Ce conflit est comme le mythe de Sisyphe et annonce les paradigmes de nouveaux conflits, dont les résolutions ne se passeront plus dans le cadre du multilatéralisme et des Nations unies, mais qui saigneront aussi, dans la douleur de l'accouchement de négociations bilatérales, qui peuvent être faites et défaites du jour au lendemain. ... Dans ce contexte, tout devient volatile, rien n'est durablement contraignant. Et de notre côté, nous assistons donc impuissants à la mort lente mais sûre d'un système international qui nous a bercé pendant 70 ans de beaucoup d'espoirs, mais aussi d'illusions.»

La Libre Belgique (BE) /

L'Europe fait entendre sa voix

La Libre Belgique ne se dit pas uniquement surprise par la décision de Trump de maintenir l'aide américaine à l'Ukraine :

«[Il y a] aussi, et peut-être surtout, le sursaut de cette Europe faible et désunie. ... Depuis plusieurs semaines, on ne voit qu'eux trois : le chancelier allemand Friedrich Merz, le premier ministre britannique Keir Starmer et le président français Emmanuel Macron. Inexistante il y a encore un an, cette Troïka affiche un visage de fermeté, de cohérence et d'unité. Il est évidemment trop tôt pour voir où tout cela va mener. Mais cette Europe, soutenue par la détermination de la Pologne, des pays Baltes et des pays nordiques, est tout doucement en train de prendre sa place dans le conflit.»

Lidové noviny (CZ) /

Poutine brille par son absence

Lidové noviny savait que le chef du Kremlin ne se rendrait pas à Istanbul :

«Ce qui a rendu définitivement impossible la coopération de Poutine a été l'énergie déployée par le président ukrainien Zelensky et les dirigeants européens pour le pousser à coopérer. Zelensky, le chancelier allemand Friedrich Merz et d'autres ont suivi une argumentation limpide et factuellement correcte : une défection de Poutine signifie que c'est un imposteur et qu'il ne veut pas vraiment trouver un accord. C'est un jeu auquel Poutine ne se prêtera jamais. Il n'aime pas perdre le contrôle de la situation. En venant, il aurait donné l'impression d'avoir cédé aux pressions européennes. Et c'est une chose que Poutine ne tolérera jamais, face à ses compatriotes, mais aussi face à lui-même.»

Espresso (UA) /

Le Chef du Kremlin ne peut pas se permettre la paix

Dans un post Facebook repris par Espreso, le chroniqueur Youri Bogdanov explique pourquoi Poutine n'aurait pas intérêt à la paix :

«Une reconversion de l'économie serait compliquée et coûteuse. Le retour de centaines de milliers de vétérans entraînerait des tensions sociales. Les élites seraient insatisfaites car les résultats ne justifieraient pas les pertes. Une relance de l'économie demanderait d'immenses investissements de l'étranger, qui ne seront pas au rendez-vous. C'est pourquoi l'état actuel des choses – la guerre comme moyen de contrôle et d'élimination des populations défavorisées et d'enrichissement des élites – constitue un équilibre qu'il cherche à préserver. Même si cet état est voué à entraîner, à terme, un effondrement du système – un peu comme dans le cas de l'alcoolisme chronique.»

La Stampa (IT) /

Il aura raffermi le front occidental

Même si Poutine ne participe pas à la rencontre, il faut voir le bon côté de l'affaire, écrit La Stampa :

«La pression d'accepter l'invitation vient de trois côtés : des chefs d'Etat et de gouvernement européens, de Volodymyr Zelensky et de Donald Trump. Par cette unité, le président russe est dos au mur. Il n'a toutefois aucune espèce de problème à leur dire non à tous les trois. Il l'a montré avec sa guerre. Mais en ne se rendant pas à Istanbul, il soude le front entre Washington, l'Ukraine et l'Europe alors qu'il pensait avoir réussi à semer la zizanie entre les Etats-Unis et l'Ukraine d'une part et entre Washington et l'Europe de l'autre. De plus, il a dévoilé ses véritables intentions quant à sa prétendue volonté de mettre fin à la guerre. Ce qui n'est pas vraiment un grand scoop.»

gazeta.ua (UA) /

Sur le terrain, rien n'indique des velléités de paix

Dans un post Facebook repris par gazeta.ua, l'ex-député et blogueur Boryslav Berioza évoque le risque d'une offensive majeure russe :

«Sur le front, personne ne croit aux négociations à Istanbul ou à de vagues promesses de cessez-le-feu. L'occupant vient d'achever le déploiement de 15 divisions qui n'ont pas pour mission de cueillir des fleurs pour constituer un herbier, mais de lancer une offensive de grande envergure en été et à l'automne. C'est probablement la meilleure réponse à ceux qui demandent ce que l'on peut attendre de la rencontre du 15 mai à Istanbul. »

Igor Eidman (RU) /

A deux contre Zelensky

Sur Facebook, le sociologue Igor Eidman entrevoit une possibilité pour Moscou de faire tourner la situation à son avantage :

«Poutine pourrait décider de ne négocier avec Zelensky qu'en présence du président américain, avec lequel il aurait réussi, le cas échéant, à se concerter [au préalable], pour être à deux contre un. Ce qui pourrait entraîner un second éclat, et l'arrêt de l'aide américaine à l'Ukraine. Si le Kremlin annonçait soudainement une visite de Poutine à Istanbul pour dialoguer avec Trump (c'est ainsi que les choses seraient officiellement présentées en Russie, avec Zelensky dans un rôle subalterne), il faudrait le comprendre comme un accord entre Trump et Poutine pour faire passer un très mauvais quart d'heure au dirigeant ukrainien. Compte tenu des contacts directs qui existent depuis longtemps entre Trump et Poutine en privé, c'est une possibilité réaliste.»

taz, die tageszeitung (DE) /

Kyiv pourrait lâcher du lest sur certains points

Bernhard Clasen, correspondant du quotidien taz à Kyiv, salue la disposition du gouvernement ukrainien de se rendre à Istanbul :

«Par cette décision, il fait des concessions significatives à plusieurs égards. Un certain nombre de revendications russes restent inacceptables pour l'Ukraine : elle ne peut pas faire cadeau aux Russes de villes clés comme par exemple Zaporijia, que la Russie réclame. En revanche, la demande de la Russie que l'Ukraine cesse de discriminer la langue russe est une revendication qui mérite l'attention. Il est inadmissible que des adolescents soient convoqués par le service secret intérieur SBU pour avoir écouté de la musique en russe dans la rue, comme cela s'est produit en avril à Kyiv.»

Ekho (RU) /

Au Kremlin de jouer

Dans un post Telegram repris par Ekho, le rédacteur en chef de Dojd, Tichon Dsiako, décrypte le bras de fer diplomatique qui se joue :

«En pleine nuit, Poutine propose des négociations, pour passer pour un pacificateur aux yeux de Trump, mais Zelensky lui dame le pion en se déclarant prêt à négocier avec Poutine – soufflant ainsi à Poutine le rôle de pacificateur aux yeux de Trump. Moscou freine des quatre fers et prévoit d'envoyer un personnage subalterne – l'ancien ministre de la culture, Vladimir Medinski, ou Leonid Sloutski [chef de file du parti d'opposition systémique LDRP], ce qui reviendrait à un échec des pourparlers. Sur ces entrefaites, Trump insiste à tout prix pour qu'il y ait des négociations. Kyiv peut difficilement exiger qu'elles aient lieu avec Poutine en personne. Trump en rajoute une louche en disant qu'il se rendrait personnellement à Istanbul. Moscou ne peut plus se permettre d'envoyer un figurant. ... C'est au Kremlin de jouer.»

Avvenire (IT) /

Le président russe acculé

Avvenire est impatient de voir comment les choses évolueront :

«Si le chef du Kremlin se rend bel et bien chez son ami difficile, Tayyip Erdoğan, pour faire face à celui qu'il qualifie de 'chef des nazis de Kiev' (et il faudra douter jusqu'au dernier moment de sa venue réelle) on pourra dire qu'au bout de trois ans de violents affrontements, quelque chose aura vraiment changé. Le président russe n'aime pas les ultimatums – et l'Europe, plus compacte et résolue, peut-être en partie grâce au nouveau chancelier allemand Friedrich Merz – lui a lancé un ultimatum.»

Eesti Päevaleht (EE) /

Après les discours de façade, l'heure est aux sanctions dures

Eesti Päevaleht exige une mise en œuvre rigoureuse des "sanctions massives" que Starmer, Macron, Merz et Tusk ont menacé de prendre samedi :

«Aucun indice ne laisse conclure à un cessez-le-feu, tributaire du bon vouloir de Moscou. ... Il est temps de montrer que les sanctions prises jusqu'ici contre la Russie, paquet après paquet, en prenant toujours grand soin de ménager suffisamment de failles juridiques et de dérogations, peuvent aussi prendre une forme autrement plus drastique. ... Le Kremlin a déjà assez ri de nous et de nos sanctions. Il faut mettre un terme à ces petits jeux. Il est non seulement question de paix, mais aussi de la crédibilité de l'Occident dans tout ce processus – et de la vie de milliers d'Ukrainiens innocents.»

Le Figaro (FR) /

Un retour progressif de la diplomatie

Dans son éditorial, Le Figaro tire trois enseignements de cette visite :

«La situation reste très fluctuante, mais la séquence du week-end porte plusieurs enseignements. D'abord, la diplomatie se met en branle, poussivement peut-être, mais c'est une évolution qu'il faut encourager. Ensuite, les Européens reviennent dans le jeu, invités par l'échec de Trump et sa tentation de se détourner de l'Ukraine. Cela leur confère de grandes responsabilités, pour soutenir Kiev tout en redevenant un interlocuteur acceptable à Moscou. Enfin, le revirement américain est notable, mais il reste avant tout tactique à ce stade, et ne remet pas en cause l'objectif stratégique de Trump : se réconcilier avec Poutine.»

Volodymyr Fessenko (UA) /

Une rivalité pour obtenir les bonnes grâces de Trump

Sur Facebook, le politologue Volodymyr Fessenko fait l'analyse suivante :

«L'annonce de Zelensky quand il dit qu'il sera en personne en Turquie le 15 mai pour attendre le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, est un rebondissement de plus dans le jeu tactique autour des pourparlers de paix. Il n'est pas question de négociations, mais de disposition à négocier. Si sur la forme, l'appel s'adresse à Poutine, sur le fond, il s'adresse au président américain Donald Trump. La déclaration de Poutine, quand il propose de négocier à Istanbul, est également un signal à l'attention de Trump.»

Dagens Nyheter (SE) /

La Russie campe sur ses positions

Dagens Nyheter est pessimiste :

«Un détail est révélateur : Poutine affirme proposer des négociations en Turquie sans conditions préalable, mais en réalité, il pose un grand nombre de conditions : son conseiller en politique extérieure, Youri Ouchakov, fait savoir que les pourparlers devraient être basés sur les négociations qui ont eu lieu à Istanbul au printemps 2022. La Russie y exigeait notamment la neutralité de l'Ukraine et de fortes restrictions des forces de défense ukrainiennes. Moscou exige en outre que l'on se penche sur les 'causes de la guerre'. C'est pour le Kremlin une manière de faire comprendre que le responsable de la guerre d'agression russe, c'est l'élargissement de l'OTAN.»

Abbas Galliamov (RU) /

La manière de Poutine de lâcher du lest

Sur son compte Facebook, le politologue Abbas Galliamov explique pourquoi, selon lui, Moscou propose des négociations :

«Certains écrivent que Poutine a 'refusé le cessez-le-feu proposé par l'Ukraine'. Mais que s'imaginaient-ils au juste ? Que Poutine dise ouvertement qu'il acceptait la proposition de Zelensky ? Jamais un politique ne ferait une chose pareille. En politique, on ne peut jamais se contenter de la seconde place. ... Il faut ignorer la proposition de l'adversaire et présenter sa propre proposition, légèrement modifiée, pour qu'elle fasse l'effet d'une idée originale, et non de la copie de la proposition du camp adverse. C'est le b. a.-ba de la politique, et Poutine le maîtrise. C'est pourquoi le président russe a été obligé d'accepter la proposition de Zelensky, car celui-ci avait le soutien de Trump.»

Naftemporiki (GR) /

Voir plus loin que les prochains mois

Naftemporiki évoque le temps long :

«Il faut que les politiques européens travaillent à l'élaboration d'un plan cohérent pour une paix durable en Europe, qui façonnera l'avenir de l'Ukraine, mais aussi la sécurité de l'ensemble du continent et la place occupée par la Russie. Car lorsque le processus de paix aboutira, que son issue soit positive ou négative, la Russie sera toujours au même endroit sur la mappemonde - et l'Europe également.»