Turquie : que penser de la fin du PKK ?
Après l'appel du leader incarcéré du PKK, Abdullah Öcalan, à déposer les armes, la décision de dissoudre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui était interdit, vient d'être rendue publique. Ce choix a été fait il y a une semaine, lors d'un congrès du PKK organisé dans le nord de l'Irak, selon l'agence de presse kurde ANF. La presse européenne explique pourquoi, outre un grand soulagement, la nouvelle suscite aussi des inquiétudes.
Un rapprochement avec l'Europe devient possible
Kleine Zeitung entrevoit la possibilité de nouvelles perspectives pour la Turquie :
«La guerre contre les Kurdes enrayait le développement politique, social et économique de la Turquie, mais aussi ses relations avec l'UE. La situation actuelle augmente les chances de relance des relations turco-européennes. Une 'Turquie sans terrorisme', comme le dit le président Recep Tayyip Erdoğan, peut permettre au pays de s'affranchir du stigmate antidémocratique. ... L''autodissolution' du PKK ne fera pas de la Turquie un Etat démocratique du jour au lendemain. Mais la fin de la guerre contre les Kurdes, au bout de plus de 40 ans, pourrait ouvrir de nouvelles portes à la Turquie – y compris vers l'Europe.»
Une grande opportunité
Il est crucial qu'Ankara pilote correctement ce processus, commente le quotidien progouvernemental Daily Sabah :
«La Turquie vient d'atteindre un tournant critique et historique dans ses efforts visant à résoudre le problème du terrorisme, qui dure depuis près d'un demi-siècle. Les décisions du PKK de démanteler sa structure organisationnelle, de mettre fin à ses activités sous le nom de PKK et de déposer les armes permettent l'amorce d'une nouvelle ère prometteuse pour la Turquie. ... Mais cette opportunité ne débouchera sur des résultats durables et concrets que si la Turquie pilote minutieusement et résolument le processus, tout en recourant à toutes les mesures politiques, militaires et sociales qui s'avéreront nécessaires.»
Au détriment de la démocratie
Pour The Times, Erdoğan est le grand gagnant de cet accord :
«Un certain nombre de concessions faites à la libre expression de l'identité kurde pourraient lui garantir le soutien de partis kurdes et ainsi lui permettre d'obtenir une super-majorité au Parlement. Cela ouvrirait à Erdoğan la possibilité de changer la Constitution et de se présenter une nouvelle fois à la présidence en 2028. Cela met également fin à un combat usant contre les insurgés qui revient cher à la Turquie, qui croule déjà sous un taux d'inflation de 38 pour cent et des taux d'intérêts de 46 pour cent. ... Il y a une autre victime potentielle : la démocratie. En s'alliant aux Kurdes, Erdoğan pourrait complètement écarter de la course l'opposition séculière et libérale qu'il s'emploie actuellement à persécuter.»
Après les Kurdes, l'opposition dans le viseur
Un autre 'ennemi public' prend le relais des Kurdes, constate Tages-Anzeiger :
«La société turque ne peut plus faire confiance à l'Etat dans lequel elle vit. Le président pourrait désormais se passer de la stigmatisation des Kurdes parce qu'il veut enfoncer un coin entre ce groupe et l'opposition. S'agissant de l'opposition, Erdoğan a dit il y a quelques jours qu'elle crèverait piteusement. Il parlait de ses ennemis comme s'il s'était agi d'animaux. La stigmatisation continue, mais elle cible un autre groupe. Tant que cet homme sera aux commandes, tout le monde dans le pays sera exposé à son pouvoir sans bornes. Qu'est-ce que la paix ? C'est le contraire de l'oppression. Sous un régime d'oppression, le potentat est le seul à profiter de la paix.»
N'oublions pas Imamoğlu
Taz met un bémol à la satisfaction générale :
«La fin des violences a beau susciter l'euphorie, il ne faut pas oublier que pour Erdoğan, les droits de Kurdes ne sont jamais qu'une monnaie d'échange. La libération d'Öcalan a été annoncée juste avant l'arrestation d'Ekrem Imamoğlu. Ce n'est pas une coïncidence fortuite : cela met en danger la fragile alliance entre le parti [kurde] DEM et le CHP, et c'était exactement le but recherché par l'AKP. Il est dangereux pour Erdoğan d'avoir deux partis d'opposition contre lui en même temps. Le parti DEM avait même pris ses distances du CHP lors des récentes manifestations pour ne pas compromettre le processus de paix.»
Quid de la Syrie ?
Le portail T24 se demande ce qu'il adviendra du pendant syrien du PKK, les YPG :
«Comme on pouvait s'y attendre, la déclaration de l'organisation fait l'impasse sur la Syrie. La raison en est que tant l'organisation qu'Ankara remettent à plus tard la question de la Syrie. ... Ankara sait bien entendu que le PKK ne prendra aucune décision sur les YPG. Mais leur incorporation au sein de l'armée syrienne et la fin de leur existence sont une attente claire de la Turquie.»