Stratégie de sécurité américaine : quel péril pour l'Europe ?

Après la publication, vendredi, de la nouvelle stratégie nationale de sécurité de l'administration américaine, l'Europe a du mal à réagir. Il est indiqué dans le document que l'Europe s'expose à un "effacement civilisationnel" et que l'Amérique devra "aider ses alliés politiques en Europe" à corriger leur trajectoire. Les éditorialistes mettent en garde contre une ingérence dans la politique intérieure européenne.

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Aftonbladet (SE) /

De l'huile jetée sur le feu

Aftonbladet redoute une immixtion américaine dans les élections en Europe :

«De nombreux pays européens doivent déjà composer avec une politique intérieure très complexe, et plusieurs scrutins cruciaux auront lieu dans les années à venir. Il y aura notamment des législatives en Hongrie en 2026, puis une présidentielle l'année suivante en France. L'Espagne et l'Italie organiseront un scrutin au plus tard en 2027. En Allemagne, le parti d'extrême droite AfD est au coude à coude avec les chrétiens-démocrates au pouvoir [dans les sondages], et au Royaume-Uni, le parti Reform UK, lui aussi d'extrême droite, est en tête des intentions de vote. Et voilà que Trump vient verser de l'huile sur le feu.»

Karar (TR) /

Trump encourage ses partisans dans le monde entier

Dans Karar, le chroniqueur Fehmi Koru évoque l'influence de Trump sur les courants illibéraux en Europe :

«Parmi ceux qui se frottent les mains, on retrouve clairement les leaders politiques qui ont le vent en poupe ces dernières années en Europe, et qui ont influencé en profondeur la politique de plusieurs pays : des individus qui se distinguent par leur indifférence vis-à-vis de la démocratie et qu'on peut qualifier d''illibéraux'. Trump ne se contentera donc pas de laisser seulement aux Etats-Unis des traces indélébiles ; il tentera aussi d'imposer ses préférences idéologiques au reste du monde.»

Ouest-France (FR) /

L'histoire n'est pas écrite

L'avenir est entre nos mains, souligne Ouest-France :

«Pour tous ceux qui auraient ignoré les précédents réveils, le texte publié vendredi est sans appel. Même s'il ne faut pas lui attribuer non plus une importance excessive. Si les Européens sont ciblés, et destinés à une vassalisation rampante dans la tête de Donald Trump, l'histoire n'est pas écrite. Notre réaction comptera autant que cette attaque. Voulons-nous être vassalisés (par Washington) ou agressés (par Moscou) sans broncher, ou bien définir notre propre sphère d'influence, si telle est la règle du jeu ? Un sommet européen extraordinaire ne serait pas une initiative absurde dans un tel contexte. Rester calme est essentiel, ne pas répondre, embarrassant.»

Helsingin Sanomat (FI) /

Le temps et les scrutins desservent l'Europe

Une tâche herculéenne attend l'Europe, souligne Helsingin Sanomat :

«Les pays européens ont la capacité de tenir la Russie en échec s'ils arrivent à s'entendre et s'ils en ont la volonté politique. … Le problème, c'est le manque de temps. Il faudra 10 à 15 ans pour combler le vide militaire laissé par les Etats-Unis. L'Europe n'a peut-être pas autant de temps, d'autant que les élections se succèdent - des scrutins susceptibles d'être influencés par des mesures hostiles. Il est intéressant d'observer le bouleversement de l'ordre mondial, même s'il est désagréable d'avoir à les vivre directement.»

Maszol (RO) /

Signé Vance

Ce document donne un aperçu de la politique que pourrait mener un futur président Vance, estime Maszol :

«Le document est moins un reflet fidèle du trumpisme que l'avatar d'une version poussée à l'extrême de celui-ci, qu'on pourrait qualifier de 'vanceïsme'. … Ce processus ne se mettra potentiellement en place que sous une éventuelle présidence Vance, mais on peut clairement qualifier cette stratégie nationale de produit idéologique de Vance et de son cercle de conseillers. La profondeur stratégique de ce document et son orientation tout à fait nouvelle sont très éloignées de la pensée superficielle de Trump.»

El Mundo (ES) /

Bienvenue dans la nouvelle réalité

Pour El Mundo, l'Europe est à un tournant :

«L'administration Trump a confirmé hier que l'Europe ne pouvait plus se fier aux Etats-Unis sur les plans stratégique et militaire. … Et elle admet que les Etats-Unis soutiendront les 'partis patriotiques européens', c'est-à-dire les formations nationalistes et identitaires, pour aider le Vieux Continent à 'corriger sa trajectoire'. Le message est on ne peut plus clair : c'est une lumière qui s'éteint et c'est à l'UE de s'occuper de sa propre sécurité. … L'heure n'est donc plus aux va-et-vient caractéristiques de Trump : cette 'nouvelle stratégie' s'inscrit dans un plan méticuleux visant à reconfigurer l'ordre mondial. … Le changement de cap opéré par Washington place l'Europe devant un défi historique.»

Público (PT) /

La 'voie hongroise' devient la seule possible

Les Etats-Unis enterrent les grands principes démocratiques et enjoignent à l'Europe de lui emboîter le pas :

«Nous savions que l'administration Trump avait profondément remodelé la politique étrangère américaine, notamment en se détournant des grands principes démocratiques qui faisaient pourtant son fondement. Nous savions que Donald Trump ne faisait aucun cas de l'OTAN et que l'Europe courait le risque de perdre le soutien des Etats-Unis, à un moment où elle est confrontée directement à une menace pour sa sécurité. Désormais, nous savons que l'alliance atlantique, qui a résisté contre vents et marées précisément parce que ses membres partageaient les mêmes principes et valeurs, ne pourra survivre que si l'ensemble des Etats européens suivent la voie [illibérale] de la Hongrie.»

Denník Postoj (SK) /

Une immixtion flagrante de Washington

Dennik Postoj commente :

«L'administration Trump fait preuve d'un zèle missionnaire pour imposer ses vues sur l'immigration et d'autres questions. De nombreuses politiques européennes méritent bel et bien d'être critiquées. Mais la nouvelle stratégie sécuritaire américaine prévoit une immixtion flagrante dans la souveraineté des Etats européens, comme aucune administration américaine ne se l'était permise auparavant. Dans des circonstances normales, de telles déclarations mériteraient un recadrage clair. Mais les Européens n'en ont pas la possibilité aujourd'hui ; ils doivent apaiser leur garant de sécurité, temporairement du moins, jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de se passer des Etats-Unis dans leur politique de défense.»

Tages-Anzeiger (CH) /

Tolérer mais ne pas céder

Le quotidien Tages-Anzeiger résume le dilemme européen :

«Pour l'instant, les Européens ont intérêt à tolérer certaines des provocations venues de la Maison-Blanche. … En ne lésinant pas sur les compliments, les cadeaux en or et la promesse d'investir dans la sécurité européenne, le continent doit faire preuve d'une certaine forme d'abnégation, mais c'est un mal nécessaire, car 80 000 soldats américains indispensables sont stationnés en Europe. Dans le même temps, les Européens doivent rester fidèles à leurs valeurs et rejeter clairement toute ingérence de Washington dans les affaires intérieures. La Maison-Blanche semble voir l'avenir de l'Europe dans des partis 'patriotiques' (c'est-à-dire d'extrême droite) qui attisent la haine contre les immigrés et honnissent les structures supranationales comme l'UE. Ils ne doivent pas tolérer les attaques contre leurs démocraties, ni se détourner de l'UE. Sinon Washington et Moscou auront tout loisir de diviser l'Europe.»

The Sunday Times (GB) /

Etre enfin autonomes

L'Europe ne peut plus se permettre d'être dépendante des Etats-Unis en matière de politique de défense, fait valoir The Sunday Times :

«Plus on se soumettra à Trump, plus il abusera de la puissance et de l'influence des Etats-Unis pour nous diviser nous humilier. Tous les politiques occidentaux doivent partir du principe que Trump ne respectera pas les obligations d'entraide prévues par l'OTAN. Cela pourrait nous inciter enfin à prendre au sérieux la question de la défense et à développer notre autonomie. Tel est, bien entendu, le grand défi pour le Royaume-Uni et l'Europe. L'alternative serait d'être les victimes de chantages de plus en plus impitoyables - venant de Trump, mais aussi de Poutine et de Xi. Et on pourrait dire qu'on l'a bien cherché, d'une certaine façon.»

Svenska Dagbladet (SE) /

La Russie a de quoi se réjouir

Pour Svenska Dagbladet, le ton avait été donné lors de la Conférence de Munich sur la sécurité :

«Depuis février, les rapports mondiaux ont beaucoup évolué. La stratégie de sécurité nationale de Trump sera assurément attentivement scrutée, mais une chose est déjà certaine : la Russie, pourtant ennemi héréditaire des Etats-Unis, n'est plus critiquée ni vue comme une menace.. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s'est montré tout sourire ce week-end, déclarant que les changements stratégiques de Trump étaient 'peu ou prou compatibles avec notre vision des choses'.»

Viktor Chlintchak (UA) /

En Ukraine, Washington veut une accalmie

Sur Facebook, le politologue Viktor Chlintchak en tire des conclusions pour l'Ukraine :

«Les Etats-Unis veulent de la prévisibilité sur le front européen. Il ne s'agit pas d'une paix 'aux conditions de l'agresseur', mais pas non plus d'oscillations permanentes. Ils ont besoin d'un format stable qui n'épuise pas les ressources. Deuxièmement, la question ukrainienne est envisagée en fonction de l'importance accordée à la Chine. … A l'avenir, les négociations, garanties ou accords seront évalués à l'aune de la question : 'Cela n'affaiblit-il pas les Etats-Unis dans leur confrontation avec la Chine ?' Troisièmement, les garanties de sécurité ne sont plus des paroles en l'air. Il s'agit de limiter la capacité de combat de la Russie. Cela veut dire que l'accent est mis sur la dissuasion, et non sur la volonté de ramener le monde à l'état de 1991.»